Médecine

MÉDECINE GRECQUE

Les documents de la science grecque antérieure à Socrate ont complètement disparu. La médecine est la seule exception. D'où l'importance des textes médicaux, en regard de quelques fragments philosophiques.

La médecine pré-hippocratique

Déjà chez Homère sont attestés des traitements rationnels. Mais Homère nous parle avant tout de la médecine traumatique. Il ne mentionne pas de médecine interne. Certains commentateurs ont conclu de ce silence qu'Homère ignorait la médecine interne, ou qu'elle était du domaine des dieux. Effectivement, dans l'Iliade, ce sont Asclépios, fils d'Apollon, et ses fils Podalire et Machaon, ou Paeon (1), qui soignent dieux et héros blessés, à l'aide de plantes.

Pourtant à l'époque d'Homère, on connaissait les Χείρονος ὑποθήκαι, recueil de recettes et de traitements attribués au centaure Chiron, qui passait pour avoir enseigné la médecine à Asclépios. Il s'agit en fait d'un faux problème. De quoi nous parle en effet Homère ? de héros demi-dieux, ou de dieux... qui ne sauraient en aucun cas tomber malades ! On ne peut donc rien argumenter de ce silence.

Citons cependant Iliade 11, 810 ss. : usage des plantes 19, 455: ἐπαοιδή, ou pratique magique.

Pour Homère, le médecin est un δημιουργός (Iliade 17, 384; cf. Pind. Pyth. 3).

Homère et la chirurgie

Il. 11, 514: Un médecin, à lui tout seul, vaut beaucoup d'autres hommes, pour ôter une flèche ou mettre un baume sur une plaie.

Il. 5, 66:  il le frappa dans la fesse droite, et la pointe du fer, traversant la vessie, alla directement sous l'os.

Il. 14, 437: crachant du sang noir

Il. 16, 481: touché à la membrane enveloppant son coeur musclé.

Il. 22, 324: à la clavicule, où la gorge et le cou s'attachent à l'épaule et où la mort est des plus promptes.

Au total, 147 blessures sont décrites dans l’Iliade.

Ajoutons à cela la pratique du sport, les rituels funéraires et sacrificiels: même aux "Temps obscurs", on avait une bonne connaissance du corps, de la physiologie, de l’anatomie surtout.

Époque archaïque

Les historiens de la science grecque ont envisagé trois sources possibles pour la médecine: les pratiques des sanctuaires de guérison; les opinions physiologiques des premiers philosophes; les pratiques des entraîneurs de gymnastique.

Médecine de temples

Il est un fait qu'à l'époque archaïque, la médecine est placée sous le patronage d'Asclépios. Ce n'est encore qu'un héros, originaire de Trikka en Thessalie (cf. Pind. Pyth. 5).

Farrington suit Withington pour rejeter cette piste: "Les arts n'ont pas été appris dans les temples, en observant les interventions surnaturelles, réelles ou supposées, mais comme nous le disent les écrivains hippocratiques, par l'expérience et l'application du raisonnement à la nature de l'homme et des choses".(2)

Les philosophes

La médecine grecque antique a très peu de ressemblance avec la nôtre. Le médecin grec connaît une série plus ou moins longue de phénomènes morbides, qu'il qualifie de maladies; il sait que les maladies suivent un certain cours; qu'elles ne sont pas sans rapport avec le milieu, et que le malade, s'il veut recouvrer la santé, doit modifier son mode de vie. Mais derrière cette connaissance empirique, il ne dispose d'aucune connaissance théorique en biologie, physique ou chimie. Il ne peut combler les lacunes de ses connaissances que par conjecture et hypothèse. Mais les premiers médecins grecs, avec les philosophes, avaient déjà constaté qu'une hypothèse, même fausse, vaut mieux que pas d'hypothèse du tout, qu'un système organisé vaut mieux que le chaos.

Pour les premiers philosophes de la nature, les "Physiciens", l'homme est un microcosme, et il y a une correspondance entre le microcosme et le macrocosme. La maladie provient d'une rupture de cet équilibre. C'est donc le corps entier qui est malade; la maladie n'est jamais localisée. D'où l'importance de la diététique (3).

Médecine de gymnases

Les gymnastes possédaient certainement une bonne connaissance de l'anatomie superficielle; ils avaient mis au point une excellente technique pour le traitement des dislocations de membres, et avaient porté toute leur attention au massage et à la diététique dans le but de conserver ou restaurer la santé des athlètes. Mais ces techniques ne s'adressaient qu'à ceux qui avaient le loisir de fréquenter la palestre, donc aux riches. La masse du peuple de la Cité n'était pas concernée.

Les débuts de la médecine rationnelle

Tout le 5ème siècle avant J.-C. témoigne d'un accroissement très rapide de la demande de connaissances et d'un effort des Grecs d'affranchir la raison du recours au divin et au surnaturel, dans tous les domaines de la pensée humaine. Parallèlement apparaissent des professionnels de la connaissance et de l'information, les sophistes. Cf. Lloyd, Magie, raison et expérience.

Le danger était évidemment que la théorie l'emporte sur la pratique. La médecine n'échappa pas à cette tendance: de plus en plus elle est envahie par la philosophie. Désormais on distingue trois écoles de médecine en Grèce.

Les grandes écoles

Ia La médecine dogmatique: l'école italo-sicilienne

Philosophique plus que scientifique, métaphysique, elle découle des systèmes cosmologiques des philosophes. Ce sont les médecins de Grande Grèce qui vont restreindre les qualités à quatre (chaud, froid, sec, humide) et les mettre en relation avec les quatre humeurs.

 

Alcméon: de Crotone (4); un peu plus jeune que Pythagore, il doit se situer vers le début du 5ème siècle avant J.-C. (v. Aristote Méta. A 986a 30). C'est le fondateur de l'école de Crotone. Plus intéressé par la médecine que par la philosophie, sans être un praticien généraliste, il applique à la médecine les théories pythagoriciennes. Fondateur d'une psychologie empirique et astronome, considérant que la santé résulte d'un équilibre (σονομία) entre certains contraires et que la maladie est due à la prépondérance (μοναρχία) de l'un de ces éléments (5), il a exercé une influence profonde sur l'école hippocratique. Il a en outre établi que le centre récepteur des sensations est le cerveau. Après lui, l'observation diminua, la spéculation augmenta.

Disciples d'Alcméon:

Timothée de Métaponte.

Démocédès (v. Hérodote 3, 125; 129 sqq.): originaire de Crotone, Cité fameuse pour ses gymnastes, il dépassa ses collègues, même sans instruments, au point d'exercer son activité contre de gros salaires, à Égine, Athènes et Samos. Vendu comme esclave à Suse, il soigna le roi Darius et guérit la reine Atossa d'une tumeur à la poitrine.

Philolaos: floruit vers 440 avant J.-C. Pythagoricien, il accordait une grande place au nombre quatre. Il décida qu'il y avait quatre organes principaux dans le corps humain. Il pensait que la bile, le sang et le flegme étaient les causes de la maladie. Ici nous avons le cas d'un philosophe pythagoricien qui essaie d'intégrer à son système philosophique des découvertes médicales (6).

Empédocle d'Agrigente, fondateur de l'école de Sicile (7). "Physicien" plutôt que médecin, il a cependant développé plus tard les possibilités de son système jusqu'à l'embryologie, la pathologie, la psychologie (8). Galien (9) le considère pourtant comme le fondateur de l'école italienne de médecine. Mais sa médecine restait assez magique; avec lui, on est plus proche du chaman que du médecin: "la parole qui les guérirait de leurs maux" (fr. 31 B 112). C'est lui qui développa la théorie des quatre éléments et des quatre qualités qui leur sont associées.

Disciples d'Empédocle:

Acron floruit vers 430, qui étudia l'influence des airs et des vents sur la santé, et soigna les Athéniens lors de la peste de 425-420;

Gorgias de Léontium, le sophiste, pas médecin lui-même, mais frère d'un médecin nommé Hérodikos.

Traités de la Collection hippocratique que l'on peut rattacher à l'école dogmatique:

·        Des vents

·        Du régime

·        Du fœtus de sept mois

·        Du fœtus de huit mois

Ib La médecine dogmatique: l'école de Cyrène

Cette école est attestée dès la fin du 6ème siècle avant J.-C. (10) Mais elle reste minritaire dans l'hsoire de la médeine grecque.

II La médecine empirique: l’école de Cnide

Le médecin cnidien est esclave des faits: il se refuse à les dépasser, à même les organiser; il ignore toute élaboration doctrinale, tout système explicatif fondé sur les faits.

Les théories de cette école sont vigoureusement attaquées par le traité du Régime des maladies aiguës, ch. 1-3. On lui reproche notamment son aspect fortement traditionnel; ses traitements rudes, voire brutaux; l'usage d'un trop petit nombre de médicaments; un pronostic imparfait; une classification des maladies trop élaborée, se perdant dans le détail et ne permettant plus d'intervenir efficacement.

Cas plus nombreux d'expérimentation humaine.

L'école de Cnide semble avoir connu ses plus grands succès en gynécologie.

Au début, n'admet que deux humeurs: la bile et le flegme.

Traités de la Collection hippocratique que l'on peut rattacher à l'école cnidienne:

·        Maladies II

·        Affections internes.

·        Des maladies des femmes.

·        Des lieux dans l'homme.

·        De la nature de l'enfant.

Traités qui se rattachent peut-être à cette école:

·        Des maladies III.

·        Des affections internes.

·        Des femmes stériles.

·        De la nature de la femme.

·        Des maladies des jeunes filles.

·        De la superfétation.

·        De l'excision du fœtus.

·        Des affections.

Remarque critique: ce que nous connaissons de l'école cnidienne se résume aux critiques de Régime des maladies aiguës 1-3, et à quelques remarques de Galien.

Le principal représentant de l'école de Cnide est Euryphron, contemporain d'Hippocrate et auteur, selon Galien, des Sentences cnidiennes (v. Régime des maladies aiguës 1-3). Certains critiques attribuent jusqu'à un tiers du Corpus à l'école de Cnide.

 

III - La médecine rationnelle: l’école de Cos

C'est à cette école que se rattache Hippocrate.

Mais avant d'estimer la valeur de l'œuvre d'Hippocrate, il faut prendre en considération les traités peut-être pré-hippocratiques qui se trouvent dans le Corpus. Il s'agit des Prénotions coaques et du Prorrhétique I, ainsi que peut-être le traité, conservé uniquement en latin et en arabe, Sur le nombre 7 (Περ βδομάδων). Le plus ancien semble être Prorrhétique I. Une grande attention y est consacrée à l'historique des maladies, notamment à la probabilité d'une issue fatale ou heureuse de la maladie. Quant au traité Sur le nombre 7, fortement influencé par les théories pythagoriciennes, il prouve que déjà avant Hippocrate la maladie était considérée par certains comme due à un trouble de l'équilibre des humeurs, la santé étant due à la coction de ces humeurs; la prépondérance supposée du nombre 7 survit peut-être dans la doctrine hippocratique des jours critiques.

Opposée aux postulats philosophiques, et moins empirique que l'école de Cnide, plus rationnelle et plus observatrice, l'école de Cos induit plus sûrement l'explication scientifique des faits observés (importance du diagnostic). Elle élabore des concepts très rigoureux et une méthodologie plus exigeante. Elle croit quasi absolument au déterminisme des phénomènes naturels (réfutation d’Empédocle) et cherche à neutraliser consciencieusement les aspects magiques de la médecine populaire.

Méthode d'observation et d'expérimentation: v. Ancienne médecine 20 (traduction Farrington, p. 73).

Importance de la déduction pour les faits non directement accessibles à nos sens: v. L'art 11 (traduction Farrington, p. 73-4).

Moyens utilisés pour découvrir les secrets du corps: v. L'art 13 (traduction Farrington, p. 74-5).

Théorie de la connaissance: v. Préceptes 1 (traduction Farrington, p. 75).

Points communs des médecins hippocratiques: ce sont des professionnels de la médecine; ils pratiquent une médecine laïque, naturelle, qui n'a plus rien à voir avec les dieux; ils considèrent que la maladie est naturelle et non divine, "naturel" au sens de "qui dépend de la nature de l'individu", non au sens de "qui dépend de La Nature"; ce sont des généralistes (la spécialisation n'apparaîtra qu'à l'époque alexandrine); ils sont itinérants. Le dualisme naturel/divin est stérile: il ne nous fait pas avancer; il n'est pas scientifique. Tous les phénomènes sont autant divins que naturels.

Hippocrate n'a pas vraiment séparé la médecine de la philosophie; il a seulement constitué la médecine en technè autonome, avec ses lois propres, ses spécialistes, son champ d'application. Hippocrate, c'est la fin de la médecine philosophique, non le début de la médecine scientifique. Même si cette médecine n'est pas encore scientifique, elle est rationnelle: pour la première fois, usage exclusif de la méthode expérimentale; elle est scientifique autant que le permettait les conditions matérielles de l'époque; il lui manquait surtout des instruments capables de mesures exactes, et les techniques de l'analyse chimique.

Traités de la Collection hippocratique que l'on peut rattacher à l'école de Cos:

·        De l'ancienne médecine.

·        De la nature de l'homme.

·        Pronostic.

·        Préceptes.

·        Épidémies.

·        Des airs, des eaux, des lieux.

·        De la maladie sacrée.

·        Des plaies de la tête.

·        Des fractures.

·        Des articulations.

·        Du régime des maladies aiguës.

·        Aphorismes.

·        De la dentition.

·        Du régime II.

Traités qui se rattachent peut-être à cette école:

·        Prorrhétiques II.

·        De l'officine du médecin.

·        Instruments de réduction (mochlique).

·        Des humeurs.

·        Du régime des gens en santé.

·        Des plaies.

·        Des hémorroïdes.

·        Des fistules.

·        De l'usage des liquides.

·        Des maladies I.

 

 

HIPPOCRATE

De lui, nous savons fort peu de choses. Malgré trois biographies antiques, sa vie est entourée de légendes.

Il est né à Cos, probablement en 460 ou peu avant; il était ''Asclépiade'' de Cos. Après avoir étudié la médecine, auprès d'Hérodicos et de son père, et la philosophie, il voyagea comme médecin et professeur. Grand ami de Démocrite d'Abdère. Séjours à Abdère et à Thasos. Il fut consulté par le roi Perdiccas de Macédoine et Artaxerxés de Perse. Il mourut à un âge avancé (entre 85 et 109 ans selon les traditions), peut-être à Larissa.

Par HIPPOCRATE, il faut entendre l'auteur de Prognostic, Régime des maladies aiguës, Épidémies I et III. Ces traités, malgré l'absence de caractères internes ou externes qui forceraient l'attribution, donnent au lecteur une impression très forte d'avoir été écrits par le même homme, à une époque de grandeur intellectuelle de la Grèce. Littré a suggéré une ressemblance avec Thucydide. Le style y est également grave et austère, la langue sert à exprimer une pensée, non à plaire.

HIPPOCRATE peut être considéré comme le fondateur de la médecine scientifique. Il a écrit plusieurs traités sur des aspects particuliers de la maladie. Mais il n'évite pas le débat philosophique sur la nature de la maladie, et donc de l'homme, qui préoccupe tout son siècle. Il critique ceux qui pensent que l'homme n'est formé que d'un élément (air, eau, terre, feu). Car alors la maladie serait impossible, ou bien il n'y aurait qu'une manière de la traiter. Or la pratique quotidienne démontre le contraire. Pour HIPPOCRATE, l'homme, et le vivant en général, est un mélange, en équilibre instable, de quatre qualités: le chaud et le froid, le sec et l'humide, dont les combinaisons binaires donnent les quatre humeurs de base du corps: le sang, le flegme, la bile jaune et la bile noire. HIPPOCRATE rejette la superstition au profit du raisonnement inductif et de l'étude réaliste de la médecine comme partie des lois de la nature.

Sa doctrine peut se résumer ainsi (11):

Traités hippocratiques et sociétés secrètes ? (12)

Quelques faits d'abord. Dans Decorum, le style est très particulier; sans formuler d'autres hypothèses, on doit avouer que l'auteur a voulu par moments être intentionnellement bizarre, par moments être obscur intentionnellement. L'obscurité grandit encore lorsque l'auteur parle de la σοφία, des dieux, et de la nécessité de préserver certaines parties de la connaissance. Dans le Serment, le médecin promet de ne délivrer son enseignement qu'à ses fils, aux fils de son maître, et à certains disciples συγγεγραμμένοι, qui ont adopté le νόμος ητρικός. Loi est un avertissement adressé aux étudiants entrant en médecine; la conclusion est curieuse: τὰ δὲ ἱερὰ όντα πρήγματα ἱεροσιν νθρώποισι δείκνυται· βεβήλοισι δὲ οὐ θέμις, πρὶν τελεσθῶσιν ργίοισιν πιστήμης. Dans Préceptes 5, un physicien est appelé ἠδελφισμένος ἰητρός.

La théorie des humeurs

La théorie des humeurs a peut-être son origine dans un certain nombre d'observations physiologiques réelles - déjà faites en Égypte assorties de déductions superficielles. Elle a en outre subi de toute évidence l'influence de spéculations philosophiques, notamment la doctrine des contraires.

Il n'y a cependant aucune uniformité chez les penseurs sur le nombre des contraires. Alcméon en postulait un nombre indéfini (v. Aristote Méta. A 986 a 31).

Cependant ces contraires ne sont pas des liquides physiologiques: le chaud, le froid, le sec et l'humide ne sont pas des réalités médicales; ce sont uniquement des puissances (δυνάμεις), même des forces de seconde importance. La théorie des humeurs ne connut son plein développement que lorsque ces δυνάμεις eurent été remplacées par des substances fluides. Ces χυμοί sont essentiels et ont des propriétés qui influencent directement la santé, bien plus que la température. Au départ de la théorie, le nombre des humeurs est indéfini. Ce n'est que dans Nature de l'homme que leur nombre de quatre est clairement posé. Des divergences subsistent cependant entre les divers traités de la Collection. Maladies 4, 51 parle de sang, bile, flegme et δρωψ. Affections I attribue toutes les maladies à la bile et au flegme. Ancienne médecine admet un nombre indéfini d'humeurs.

À noter que si l'école hippocratique tient à la théorie des humeurs, c'est comme un fond commun à la médecine, et que les humeurs ne sont jamais traitées pour elles-mêmes.

Cette théorie doit beaucoup à certains penseurs proches de l'école d'Empédocle, et plus portés vers la philosophie que vers la médecine. Pour eux, les humeurs cèdent même le pas devant les contraires eux-mêmes, matérialisés par le feu, l'air, l'eau et la terre. On retrouve cette théorie dans les latrika de Ménon (ch. 20) et dans le Timée de Platon (86a).

Précurseurs de la théorie

Pétron d'Égine estimait que si le corps est bien composé de ces quatre humeurs, la maladie est le résultat d'un mauvais régime, et que la bile n'est pas la cause, mais le résultat de la maladie.

Hippon pensait qu'une quantité convenable d'humidité était la cause de la santé.

Philolaos.

Thrasymaque de Sardes estimait que c'est le sang, transformé en flegme et en bile, par excès de froid ou de chaud, ou en σεσήπος (espèce de pus), qui est la cause de tout.

Ménécrate enfin considérait que le corps est composé de sang, de bile, de souffle et de flegme, et que la santé est une harmonie de ces éléments.

 

La médecine grecque vers la fin du 5ème siècle avant J.C. (13)

La première caractéristique de cette médecine (hippocratique) est sa laïcité. Elle n'est plus un sacerdoce, mais une technique et un art. La médecine est qualifiée de τέχνη, c'est-à-dire de science appliquée. Cf. Soph. Trach. 1001: χειροτέχνη; Plat. Théét. 167 b: (σοφοὶ κατὰ σώματα). Au 4ème siècle avant J.C., Aristote distinguait trois types de personnes habilitées à parler de sujet médicaux: le praticien ordinaire (δημιουργός), le maître de l'art (ρχιτεκτονικός), et l'homme qui avait étudié la médecine dans le cadre d'une formation de culture générale.

Les médecins ne sont plus des mages ni des prêtres, intercédant auprès de la divinité et vivant d'offrandes; ils sont des professionnels de la santé (l'auteur de l'Ancienne médecine insiste à plusieurs reprises sur la distinction entre le professionnel, qui a l'expérience de l"art", et le simple profane (διώτης), rétribués pour leurs prestations, se rattachant à des écoles, travaillant dans des cabinets privés, ayant souvent hérité leur charge de leur père ou de leur oncle. Hérodote (3,131) parle de médecin payé par la Cité; Platon (Lois 720 c) signale des médecins libres aussi bien que des médecins esclaves, ceux-ci traitant les esclaves - cela va à l'encontre de ce que l'on trouve dans Épidémies. Les remèdes préconisés sont tous naturels; on n'y trouve aucune incantation, aucun exorcisme, ou autres procédés analogues.

Médecins grecs du 4ème siècle

  • Ménodote
  • Dioclès de Carystos: première moitié du 4ème siècle avant J.C., cite les Aphorismes 2,33.
  • Ctésias de Cnide: première moitié du 4ème siècle avant J.C., connaissait probablement les Articulation.
  • MénonCet élève d'Aristote est l'auteur des Iatrika. Il renvoie à Souffle, Nature de l'homme, Lieux dans l'homme, Glandes.

Médecine et philosophie après 300 avant J.C.

Durant tout le 5ème siècle avant J.C., la philosophie a accompli un effort constant d'amener la médecine dans sa sphère d'influence et de lui imposer la méthode des ποθέσεις. Cet effort est récompensé notamment dans Nourriture I et Souffles. Cet effort de la philosophie fut violemment combattu par les ténors de l'école rationnelle, et Ancienne médecine nous offre un exemple probant de l'attitude des tenants de la méthode empirique.

Plus d'un siècle après Nourriture, la philosophie tenta un second assaut contre la médecine, probablement dans le milieu du 3ème siècle avant JC. Mais cette attaque ne fut pas ressentie aussi violemment, car la philosophie de cette époque avait changé de centre d'intérêts: désormais elle se préoccupe avant tout d'éthique.

Quelques traités du Corpus hippocratique traduisent cette préoccupation: Préceptes, fortement épicurien, autant dans son épistémologie que dans sa manière; Decorum et Lo sont plutôt d'influence stoïcienne. Quoique ces traités contiennent parfois des vérités évidentes, on ne peut qu'admirer la haute exigence morale qui les imprègne.

Exemples montrant cette dernière tentative de la philosophie d'influencer la médecine,

  • tiré des Préceptes 6: ν γὰρ παρῇ φιλανθρωπίη, πάρεστι καὶ φιλοτεχνίη.
  • tiré de Decorum  5: ητρὸς γὰρ φιλόσοφος σόθεος.

La médecine alexandrine

Au 3ème siècle, plusieurs noms illustrent la biologie et la médecine: Praxagoras de Cos, Chrysippe de Cnide, Hérophile de Chalcédoine, Érasistrate de Céos. Mais nous n'avons pas conservé un seul traité complet d'aucun de ces auteurs. Cependant, comme des auteurs médicaux postérieurs, Celse, Rufus, Soranos et Galien, citent et commentent leurs devanciers, et souvent abondamment, la situation n'est pas aussi désespérée. La documentation de seconde main, pour quelques parties au moins de l'œuvre des deux biologistes les plus importants, Hérophile et Érasistrate, n'est pas mince non plus.

À l'époque alexandrine, on assiste à une véritable révolution scientifique. On fait d'énormes progrès en anatomie, par la pratique de la dissection et, avec Hérophile et Érasistrate, de la vivisection, encouragée par les Ptolémées. Progrès également en chirurgie, qui devient une branche autonome de la médecine; peu à peu marginalisée, elle subit une certaine dépréciation (cf. le barbier) et s'éloigne de la recherche médicale.

Parallèlement, on assiste à une spécialisation (médecine générale, englobant la gynécologie et la médecine dentaire; chirurgie; pharmacologie), à un éparpillement de la médecine, à une dégradation de l'éthique médicale.

L'école de Cos reste florissante et fournit toujours les Cités grecques en médecins. L'école de Cnide est fortement concurrencée par Alexandrie. Désormais deux grandes écoles s'opposent: l'école théorique et l'école empirique.

Praxagoras de Cos établit la première distinction entre les veines et les artères, et distingue 12 humeurs.

Hérophilos de Chalcédoine (Bithynie), élève de Praxagoras, vers 300 av. J.C., conduisit plusieurs études sur le système nerveux: il admet, contrairement à Aristote, que le centre nerveux est le cerveau; il découvre les cinq membranes de l'œil; sa connaissance du foie et du duodénum est remarquable. Il établit la relation entre la circulation du sang, les battements du cœur, le pouls, découvre et souligne l'importance de la mesure du pouls pour le diagnostic. Plusieurs des termes qu'il inventa en anatomie ont passé à la postérité, soit directement soit dans leur traduction latine. Les recherches d'Hérophile sur les organes de la reproduction brillent également par la découverte qu'il fit des ovaires, dont il compara la structure et la fonction avec celles des testicules.

Érasistratos de Céos semble avoir été un clinicien prudent, critiquant l'usage des remèdes drastiques comme les saignées et les purgatifs énergiques qui étaient d'usage commun dans la médecine grecque. En même temps, il proposa une doctrine physiologique et pathologique hardie et originale. Son originalité consiste à utiliser des schémas mécaniques pour les processus organiques: par exemple, alors qu'Aristote expliquait la digestion par un changement qualitatif dû à la coction résultant de la chaleur innée du corps, Érasistrate parle de broyage, de trituration, et explique le passage des aliments par l'action de certains muscles et non par l'attirance exercée par l'estomac. Il étudie le système cardio-vasculaire, distingue les valves cardiaques, considère le cœur comme une pompe, imagine des passages entre artères et veines. Il explique mécaniquement (par filtrage successifs) comment se forment les résidus du type bile ou urine. Il essaya de confirmer certaines de ses théories grâce à des tests expérimentaux effectués de façon délibérée (14). Dans la pratique, il cherche à promouvoir l'importance de la diète, des massages et des bains chauds. C'est à lui que nous devons l'une des plus belles définitions de la détermination et de l'obstination qu'exige la recherche scientifique: "Lorsqu'ils commencent à exercer leur esprit, ceux qui n'ont aucune habitude de la recherche sont d'abord aveuglés et éblouis; ils renoncent aussitôt à poursuivre leur recherche, par fatigue mentale et par une incapacité qui ne le cède en rien à celle que montrent, en se lançant dans une course, ceux qui ne sont pas habitués à courir. Mais celui qui a l'habitude de la recherche explore toutes les avenues possibles en conduisant son enquête, il se tourne dans toutes les directions, et loin de renoncer à sa recherche du jour au lendemain, il ne cesse de la poursuivre tout au long de sa vie. Il tourne son attention d'une idée à l'autre en suivant le fil de son investigation, et s'obstine jusqu'à ce qu'il parvienne à son but".

Condition du médecin

On crée un impôt dit ατρικόν, pour retenir les médecins dans une ville; les patients doivent payer leurs consultations; malgré cela, il n'y a sans doute pas de médecine étatique. À Alexandrie, un décret institue un ρχίατρος, fonctionnaire chargé de surveiller la santé publique. Mais il n'y a pas de contrôle de l'État sur les connaissances ou le statut du médecin.

 

Époque romaine

On sait peu de chose sur l'histoire des sciences biologiques dans les générations qui suivent. L'essentiel de notre documentation provient de Rufus et de Galien. Deux traits sont frappants: la prolifération des sectes médicales et l'interaction persistante entre médecine et philosophie.

Certaines de ces sectes devaient leur nom à des individus, y compris Hérophile et Érasistrate eux-mêmes: il y avait au 2ème siècle après JC. des médecins connus sous le nom d'«érasistratéens». D'autres groupes tiraient leur nom des positions qu'ils avaient prises dans le débat complexe et prolongé auquel avait donné lieu le problème de savoir quelle était la méthode correcte en médecine. Deux des écoles principales étaient les dogmatiques et les empiristes.

• Les dogmatiques soutenaient que la connaissance des «causes cachées», qui échappent à l'appréhension des sens -- en particulier celle de la constitution de l'homme et des causes des maladies -- est essentielle à la pratique médicale, et qu'une telle connaissance ne pouvait être acquise qu'en joignant à l'expérience le raisonnement et la conjecture.

• Les empiristes assuraient qu'il n'était ni légitime ni nécessaire de spéculer sur ces matières. Pour l'empiriste, on ne peut connaître l'invisible: la tâche du médecin est de traiter les cas individuels; pour y parvenir, il doit éviter de procéder à des inférences; il lui faut prêter attention aux symptômes manifestes du patient, et se laisser directement guider par eux, et par eux seuls.

L'inspiration qui fonde cette école peut être décelée dès le 3ème siècle avant J.-C. dans les cercles de la médecine alexandrine; on évoque le nom de Philonos de Cos vers 250 avant J.-C., bien que Sérapion d'Alexandrie vers 200 en soit le véritable fondateur. Son représentant le plus illustre fut Héraclide de Tarente, dont Aénésidème fut un disciple. Mais c'est à Ménodote que Galien se réfère constamment pour exposer les thèses de la médecine empiriste, auquel il faut joindre Théodas de Laodicée qui fut disciple d'Antiochus. Ménodote vécut vers 150 après J.-C. Il semble pour la première fois avoir opéré explicitement le rapprochement entre l'empirisme et le scepticisme. Les arguments développés par Sextus Empiricus reprennent d'ailleurs toute la partie antidogmatique de son œuvre.

On ne saurait établir un art sur des conjectures aussi faibles que celles des dogmatiques, d'autant que les divergences et les contradictions entre les explications fournies par les divers médecins sont constantes. Ainsi la digestion peut être conçue comme trituration des aliments dans l'estomac, décomposition, décoction... Ils ne se départagent qu'à travers des querelles de mots, développant le verbiage à défaut de guérir. Par ailleurs si les causes qu'ils invoquent étaient bien les véritables causes, on devrait retrouver les mêmes explications partout, or la médecine varie selon les pays et les climats, ce qui récuse toute causalité universelle. On retrouve ainsi le fond d'arguments maintes fois repris et développé dans la tradition sceptique ou néo-académique. De ce qui est douteux ne saurait naître une science, et face à la discordance (διαφωνία) des affirmations dogmatiques, naît l'isosthénie, et donc la suspension du jugement. Mais au lieu que la suspension entraîne l'indifférence avec son corollaire conformiste dans la pratique, elle s'efface derrière la méthodologie, et constitue ici un moment provisoire permettant de se défaire du dogmatisme, jouant ainsi le rôle d'une catharsis ou d'une thérapie préparant à l'action. En effet, le médecin sceptique a le devoir de guérir, son art exigeant qu'il agisse et prenne les bonnes décisions. Si les causes obscures sont source d'ignorance, la connaissance ne peut être obtenue que par la recherche des causes évidentes, celles que l'expérience a enseignées: «En médecine si nous savons qu'une lésion du cœur entraîne la mort, ce n'est pas à la suite d'une seule observation, mais après avoir constaté la mort de Dion, nous constatons celle de Théon, celle de Socrate et de bien d'autres», dit Sextus. Mais comment, face aux expériences accumulées par l'observation directe ou restituées par la mémoire, pourrions nous déterminer laquelle est décisive ? Ménodote propose une méthode permettant d'échapper à l'expérience imitative qui réduirait la médecine à une simple routine hostile au raisonnement. Galien dans le De subfiguratione empirica, décrit ainsi la démarche de la médecine empirique:

  1. L'observation (αὐτοψία, ou τήρησις), qui peut être fortuite, improvisée ou provoquée, établit un lien entre un trouble et sa guérison, et lorsque le constat de cette liaison peut être effectué un certain nombre de fois, on peut dégager de l'expérience imitative le facteur qui est déterminant, et en asseoir la généralité (θεώρημα ensemble des cas identiques où le même remède a eu les mêmes effets). La science et l'art du médecin reposent donc sur la connaissance des tables comparatives qui regroupent ces règles générales en corps d'énoncés théoriques, et permettent de guider le choix et l'usage du remède.
  2. La documentation  (στορία) permet de récapituler les observations des prédécesseurs et de la tradition, ce qui exige une critique des témoignages et des sources. Ménodote développe ainsi une doctrine de la critique textuelle.
  3. L'induction, ou passage du semblable au semblable ( τοῦ μοίου μετάβασις), permet de pallier les limites des règles précédentes, lorsque nous n'avons ni documentation ni observation: il s'agit du «passage opéré par ressemblance», entre des cas observés et celui qui leur est analogue (d'une affection morbide à une autre, d'une partie du corps à une autre, d'un remède à un autre). Pour les empiriques, cette relation n'est pas fondée en raison, au sens où elle dépendrait d'un principe a priori selon lequel le semblable produirait le semblable; il ne s'agit pas d'une démonstration, mais d'un relevé de concomitances. Ce que, pour mieux marquer la différence avec le terme «analogisme» employé par les dogmatiques, Ménodote nomme «épilogisme», simple calcul réfléchi sur les phénomènes, sans qu'on cherche à les dépasser. Il faut au moins la confirmation d'une expérience, pour qu'on puisse passer à la certitude complète. Sans nécessairement créditer les médecins sceptiques de l'invention du raisonnement par induction, ou de la méthode expérimentale, on doit reconnaître le rôle considérable qu'a joué ce dispositif (15).

• Une troisième secte, connue sous le nom de «Méthodistes», devint à la mode à Rome aux 1er et 2ème siècles après J.C.; son représentant le plus éminent est Soranos d'Éphèse, qui écrivit d'importants ouvrages de gynécologie et de pathologie. Les origines de cette secte sont obscures: ses doctrines ont été rattachées au nom de Thémison, au 1ερ siècle avant J.C.; mais peut-être est-ce Thessalos, au début du siècle suivant, qui est le fondateur de la secte. Alors que les empiristes avaient adopté une théorie de la connaissance proche de celle des sceptiques de l'Académie, qui affirmaient que ce qui n'est pas manifeste ne peut être saisi, la position des méthodistes correspondait à celle des sceptiques tardifs, qui maintenaient que l'on doit suspendre son jugement (cf. Sextus Empiricus, Hypotyposes pyrrhoniennes 1236-41), car il est inutile et impossible d'affirmer ou nier quoi que ce soit concernant les causes cachées.

Cette controverse reflète les débats philosophiques contemporains sur les fondements de la connaissance, et elle fut sans doute directement influencée par ces débats, bien que les deux points de vue qui s'y opposent doivent aussi beaucoup à des auteurs médicaux antérieurs (cf. Ancienne médecine). Contre les péripatéticiens, les stoïciens et les épicuriens, qui maintenaient tous la possibilité de la connaissance, tout en rendant différemment compte de ses fondements, divers types de philosophie sceptiques avaient fait leur apparition, d'abord avec Pyrrhon d'Élis (4ème). Certains sceptiques niaient que la connaissance fût possible; d'autres étaient d'avis qu'une telle négation était elle-même une assertion dogmatique, et que le sceptique devait suspendre son jugement sur ce sujet comme sur tout autre; mais tous étaient d'accord pour rejeter toute tentative pour mettre en place un critère bien déterminé de connaissance. Les auteurs médicaux réemployèrent les arguments épistémologiques généraux dans leurs débats sur les fins, les méthodes, la nature et la justification de la médecine; mais ils y introduisirent aussi des considérations spécifiquement tirées de leur expérience médicale propre; et à l'occasion, les empiristes tout spécialement prenaient explicitement leurs distances par rapport aux philosophes.

Les médecins ont eu longtemps mauvaise presse à Rome, si l'on en croit les recommandations de Caton l'Ancien à son fils, citées par NH, XX, 14; on pourrait invoquer Martial. En fait, Pline, constamment soucieux de la santé de l'homme, s'en prend surtout aux mages et aux bateleurs (circulatores) qui vendaient des médicaments— on pense à la caricature traditionnelle des « arracheurs de dents » de nos vieux pays— et un grand médecin comme Galien s'emporte contre les charlatans, nombreux à Rome. Le public avait tendance à confondre médecine et magie et la religion a toujours eu d'étroits rapports avec l'art médical, notamment dans les sanctuaires des divinités guérisseuses. Mais César, qui accorde aux médecins étrangers la citoyenneté, marque assez sa considération pour eux.

Il existait évidemment diverses catégories de médecins; les «généralistes», souvent d'origine grecque, esclaves ou affranchis, si l'on en croit l'onomastique révélée par les inscriptions, et qui étaient mal considérés, et les «spécialistes», oculistes, diététiciens et chirurgiens, qui portent, eux, des noms latins. Ce n'est pas toutefois une raison pour parler de «médecine romaine à deux vitesses». Les médecins militaires avaient eux aussi une hiérarchie, mais jouissaient généralement d'un sort enviable. Dire que les médecins sous l'Empire sont Grecs ou Orientaux n'a pas grand sens, surtout si l'on considère ceux qui, porteurs des tria nomina, sont citoyens et ont choisi de s'installer à Rome. S'ils écrivent en grec, c'est parce que c'est la langue scientifique internationale, comme l'anglais de nos jours. Plusieurs ont d'ailleurs été traduits en latin et, comme pour d'autres domaines, il y a eu un effort de création de mots techniques.

Médecins romains

L'introducteur de la médecine grecque à Rome fut Asclépiadès de Pruse (Bithynie) (1er siècle avant J.-C.), médecin atomiste.

Thémison de Laodicée, son élève, fondateur de l'école des Méthodiques, s'inspire des théories de Leucippe et Démocrite: la modification d'une partie du corps entraîne des modifications en chaîne, provoquant la maladie; trois états du corps: strictus, medius, laxus ou fluens.

Dioscoride de Cilicie, médecin militaire, sous Claude et Néron, auteur d'un Περὶ λης ατρικς, recueil de pharmacologie, sur les plantes et les minéraux (16).

Celse (début du 1er siècle après J.C.), auteur des Artes.

Galien est né en 129 après J.-C., à Pergame. Son père, Nicon, était architecte; il éduqua lui-même son fils en mathématiques, grammaire, logique et philosophie, mais, lorsque Galien eut atteint l'âge de 16 ans, un rêve persuada son père de lui faire apprendre aussi la médecine. Galien fit des voyages d'études à Smyrne, à Corinthe et à Alexandrie; il revint à Pergame en 157 et prit un poste de chirurgien affecté au traitement des gladiateurs, poste qu'il occupa pendant quatre ou cinq ans. Vint alors un séjour à Rome, où il entreprit de se faire une réputation dans ce qui était alors, à ses propres dires, une profession non seulement hautement compétitive, mais encore corrompue. Ce séjour dura trois ans, au terme desquels Galien, dégoûté de la jalousie et de la médisance de ses collègues, et informé de la cessation des conflits civils à Pergame, retourna en Asie mineure. Cependant, peu de temps après son retour à Pergame, il fut convoqué par lettre auprès des empereurs Marc Aurèle et Lucius Verus, qui projetaient à ce moment (168) de lancer une campagne contre les Germains. Galien rejoignit l'armée à Aquilée, mais lorsque les troupes furent atteintes par la peste, les empereurs et leur entourage immédiat retournèrent à Rome, et Galien fut laissé sur place pour passer un hiver lamentable avec l'armée frappée par la maladie. Marc Aurèle lui ayant demandé de l'accompagner dans son expédition en Germanie, Galien sollicita avec succès l'autorisation de rester à Rome comme médecin de Commode, le fils de l'empereur. En 192, Galien eut la malchance de voir disparaître beaucoup de ses traités au cours de l'incendie du temple de la Paix, où ils étaient déposés. A cette date, cependant, il était un praticien bien établi, et il continua à jouir de la faveur impériale jusqu'à la fin de sa carrière. La date de sa mort n'est pas connue avec certitude: on la fixe entre 199 et 210.

Bien que la biologie et la médecine soient les principaux domaines où Galien a travaillé, il était également connu comme philosophe et comme philologue. A ses yeux, la compétence philosophique n'était pas seulement un complément agréable de la formation du médecin, elle en constituait une partie essentielle. Il s'en expliquera dans un traité intitulé "Que le meilleur médecin est aussi philosophe". Galien écrivit plus de vingt livres de commentaires sur les traités logiques d'Aristote; mais aucun d'eux n'a survécu, et très peu a été gardé de ses propres travaux logiques, éthiques et philosophiques. En plus de ses commentaires sur Hippocrate, il commente les œuvres biologiques d'Aristote, Hérophile, et surtout Érasistrate, aussi bien que les théoriciens de la médecine plus récente, comme Asclépiade (1er siècle avant J.-C.) et les fondateurs de l'école méthodiste, Thémison et Thessalos.

Une bonne part de sa physiologie repose sur des idées traditionnelles, notamment la théorie des quatre éléments premiers auxquels sont associées les quatre qualités premières. Mais il avertit le lecteur de la confusion qui règne en ce domaine: certaines choses qui semblent «chaudes» peuvent avoir des effets «refroidissants». Ni la sensation ni la raison ne sont des guides entièrement dignes de foi. En dépit de la nature problématique de la théorie, il n'en continue pas moins à exprimer sa confiance dans l'expérience, qui montrera en pratique comment doivent être déterminées les qualités des choses. En réaction contre le scepticisme théorique ambiant, il prône un retour à Hippocrate. Et bien qu'une grande partie de sa physiologie soit hautement spéculative (influence de Platon notamment), ses descriptions des structures anatomiques et des processus physiologiques témoignent, les unes et les autres, d'observations soutenues et minutieuses: Galien recommandait la dissection humaine, ou, à défaut, celle d'animaux très proches de l'homme, le singe entre autres (magot). Il eut même recours à la vivisection, notamment pour étudier le système nerveux: il pratiquait des sectionnements de la moelle épinière à diverses hauteurs dans la colonne vertébrale et observait les facultés de réaction de l'animal. Il voyagea aussi longuement dans l'archipel et en Asie mineure en quête de médicaments.

 

On retiendra encore les noms

au ler siècle av. J.C., d'Héraclide de Tarente et d'Apollonios de Citium,

au 1er siècle après J.C., d'Arétée de Cappadoce, de Scribonius Largus,

sous Trajan, de Rufus d'Éphèse qui s'est attaché à la description de l'œil, du cœur, des nerfs, de plusieurs maladies et a pratiqué l'opération de la pierre;

au 2ème siècle après J.-C., du gynécologue Soranus, de Marin d'Alexandrie,

au 2ème-3ème, de Serenus Sammonicus,

vers le milieu du 4ème siècle après J.-C., d'Oribase de Pergame, médecin de Julien, auteur d'une Collection médicale en 70 livres,

vers 400, de Marcellus Empiricus de Bordeaux,

au 5ème, de Caelius Aurélien,

au 6ème, de Aetius d'Amida et d'Alexandre de Tralles,

au 7ème, de Paul d'Égine, de Théophilos Protospatharas.

*** Sans oublier  50 Femmes médecins.

Témoignages

Le public cultivé et les écrivains s'intéressaient aux problèmes de la santé, notamment dans ses rapports avec l'environnement. Varron (Disciplinae) a conçu une théorie des «microbes» d'origine épicurienne. Le problème de la cause des maladies et des épidémies a préoccupé Lucrèce, Virgile, Ovide, Tibulle... On connaît l'attention qu'un Sénèque, ancien «grand malade», portait à la médecine, à laquelle il emprunte de nombreuses images. Cette science faisait même partie de la culture générale que Vitruve souhaite pour les architectes et était connue dans les grandes familles. Ausone (Parentalia 6), évoquant sa tante maternelle, dit d'elle: «Tu t'essayais, comme les hommes, à l'art médical.»

La médecine d'époque romaine est connue d'abord par les textes littéraires, ensuite par les inscriptions (plus de 400 médecins attestés), par les papyri administratifs d'Égypte, qui révèlent par exemple le rôle du médecin expert chargé par les autorités de certifier par écrit l'état d'un malade ou d'un blessé et de délivrer des permis d'inhumer.

On possède d'autre part de nombreux monuments figurés: scènes de consultation de malades atteints de diverses affections sur des bas-reliefs, fresque d'une catacombe de la via Latina (Rome) représentant un médecin entouré de ses élèves, donnant une leçon d'anatomie (la pratique de la dissection est attestée par Sénèque le Père, Controv. 10, 5, 17: «Les médecins pour connaître le principe secret d'une maladie ouvrent les entrailles;  chaque jour on dissèque les membres de cadavres, pour savoir la position des nerfs et des articulations»), ex-voto (terre cuite ou bois) découverts dans les sanctuaires, figurant des membres ou des organes malades et illustrant les connaissances anatomiques contemporaines.

Realia

L'archéologie, enfin, met à la disposition des chercheurs un instrumentum médical et chirurgical varié (exciseurs, bistouris, trépans, crochets d'oculistes, aiguilles, cautères, scies, scalpels, olives-spatules, forceps, ligula, broyeurs, balances, godets pour préparer les médicaments, ventouses même) provenant de nombreux sites (camps militaires, tombes). On a même trouvé des instruments chirurgicaux dans les thermes ou embarqués (épave de Plemmirios.). On peut comparer tous ces vestiges à tel marbre présentant une «panoplie» de chirurgien. Il est parfois possible de rapprocher tel de ces instruments (comme un modiolus pour trépanation découvert près du castellum de Niederbieber) d'un texte (Celse VIII, 3). Certains sont rares ou spécialisés comme les cathéters du British Museum. Des coffrets, véritables «trousses» de médecins ou d'oculistes, ont été trouvés.

Les cachets d'oculistes, nombreux en Gaule, sont des plaquettes de pierre aux tranches inscrites en lettres inversées pour être imprimées sur des collyres en pâte (avec nom du médecin, du pharmacien ou de l'inventeur, nom du collyre indiquant la composition par exemple le diacholes, du nom de la bile, maladie soignée (ad aspritudines, pour les granulations ou le trachome, chemosis, inflammation de la cornée). C'est l'équivalent de nos «ordonnances». Une tombe de Tongres (milieu du 3ème siècle p.C.) recélait un collyre composé d'oxyde de zinc et de silice (formule du spodiacon contre le trachome) et des instruments pour le traitement des affections oculaires.

L'archéologie fait aussi connaître des installations hospitalières comme les valetudinaria des camps militaires, dont le plan type comporte une cour intérieure rectangulaire entourée de deux rangées de chambres séparées par un couloir, avec des pièces plus petites, précédées d'une antichambre, réservées au service (gardes-malade, magasins), et les sanctuaires des divinités salutaires, comme celui d'Esculape à Frégelles, en rapport avec l'Orient; le dépôt votif était riche en ex-voto de terre cuite: bébés emmaillotés, animaux, statuettes, têtes, masques, figurations anatomiques: membres, seins, tablettes de viscères, utérus, organes génitaux masculins, vessies, bassins... On insistera sur le rôle de ces établissements, où les médecins pouvaient accumuler une expérience considérable.

La pratique médicale n'était pas seulement empirique. Il a existé un enseignement organisé (schola medicorum, d'Auguste à Théodoric; allusion à un «grand patron» chez Martial V, 9), d'autres écoles à Avenches, Bordeaux, Marseille, Metz, Saragosse et, bien sûr, dans les grands centres hellénistiques (Éphèse). La réflexion philosophique y intervenait (Galien contre les méthodistes), sans compter les rivalités de personnes (exemple de l'archiatre Attalos d'Hérakleia Salbakê, médecin de Marc Aurèle et de L. Verus, rival de Galien).

On a pratiqué très tôt la réduction des fractures et des opérations chirurgicales délicates: trépanation, extraction de flèches ou de corps étrangers, amputations, cautérisation, trachéotomie, extirpation de varices, ablation des amygdales, ligature des vaisseaux, lithotomie. L'opération de la cataracte, décrite par Galien et Antylle, est illustrée par des monuments figurés, peut-être symboliques (pilier de Mavilly, sarcophage de C. Sosius Julianus à Ravenne), par cinq aiguilles découvertes à Montbellet (S. et L.) dont deux creuses pour extraction du cristallin par aspiration. On n'a pas ignoré la chirurgie «esthétique» (NH, Xl, 213), l'acupuncture (XXX, 28), on a posé des prothèses (jambes de bois, fausses dents). Parmi les «spécialités» figurait en effet l'art dentaire (NH, XXIX, 46: atteste l'utilisation du dentifrice). Des problèmes toujours actuels ont été posés: IVG, euthanasie, médecine sociale et assurance, des hypothèses hardies avancées: l'idée de la spécialisation des hémisphères du  cerveau, qui figure chez Dioclès de Carystos ou Soranos d'Éphèse, n'a été reprise qu'au 19ème siècle. A un moment où le renouveau d'intérêt pour les «médecines douces» ou parallèles remet en honneur des thérapeutiques anciennes, on lira avec curiosité ce que les médecins et même les encyclopédistes nous disent des aspects psychologiques des maladies (la «mélancolie», cf. J. Pigeaud), de l'importance des relations amicales entre le médecin et ses patients, du rôle de la musique, de la gymnastique (gestatio transmettant au corps un mouvement bienfaisant), des régimes alimentaires (NH, XIX, 128: Auguste soigné par Musa avec de la laitue), des rapports de l'homme et de l'environnement (NH, XXIV, 28: promenades de «poitrinaires» dans les forêts de résineux; 43: lait de chèvres nourries au lentisque), cures thermales, avec des idées philosophiques intéressantes sur les relations microcosme (humain)-macrocosme: l'humeur lierait l'homme à l'univers et ses mouvements internes aux rythmes du monde, et sur certains médicaments (d'origine végétale ou minérale), dont les vertus ont été reconnues de façon expérimentale et parfois déductive, cf. NH, XXII, 106: «Nous traitons des remèdes simples, où se montre la nature» (vin, huile, miel, cire, sel); 118: «Je n'aime pas les drogues qui naissent au loin pour servir de remèdes» (l'auteur s'élève constamment contre les falsifications). Ajoutons des remarques toujours utiles de Galien sur les organes de la parole (rôle de la respiration, exercices de déclamation). Les médecins romains, comme la plupart des disciples d'Hippocrate, ont su faire preuve de valeur morale et réfléchir sur l'humaine condition: Pline veut enseigner à sauver la vie humaine (NH, XXIII, 32). On rapprochera telle émouvante inscription («L'existence qui me fut dévolue en ce bas monde fut l'exercice de la médecine: j'ai pu soulager les douleurs de bien des malades, mais je n'ai pu vaincre par mon art ma propre maladie»). Plusieurs médecins ont joué le rôle de  mécènes (femme offrant un monument à la colonie de Lyon).

Dans ce domaine passionnant qui concerne directement l'humanité souffrante, on se félicitera de la collaboration développée depuis quelques années entre philologues et corps médical. Les analyses de laboratoire révèlent la composition des collyres (arnica, sels de mercure et de plomb, soufre; excipients: saindoux, cire). Les ossements permettent d'apprécier l'état sanitaire, les lésions, les opérations éventuelles, les mélanges de population, de reconstituer l'apparence corporelle.

La médecine vétérinaire, illustrée par les agronomes, la Mulo-medicina Chironis et l'Art vétérinaire (de Végèce ?), mérite une attention particulière: comme les praticiens n'avaient pas d'a priori philosophique, inévitable dans le cas de l'âme humaine, l'observation et l'expérience ont pu jouer leur rôle à plein.

Ajoutons que dans ce domaine aussi l'ethnohistoire peut intervenir (de nombreuses prescriptions notées par les folkloristes remontent aux réceptaires latins) et que l'on est attentif aux filiations (exemple du Physiologus, composé en grec à Alexandrie vers 200 ap. J.-C., ancêtre des Bestiaires médiévaux).

 

Celse, 7, proem. 4: Le bon chirurgien

"Un chirurgien doit être un homme jeune ou du moins pas trop éloigné de la jeunesse; sa main sera vive, ferme et ne tremblera pas, il sera capable de se servir aussi bien de la main gauche que de la main droite; il aura la vue perçante et nette, l'esprit calme, il sera sensible à la pitié et désireux de soigner son patient, mais sans se laisser troubler par ses cris au point de trop se hâter ou de tailler moins qu'il n'est nécessaire. Il doit tout faire comme si les cris de douleur ne lui causaient aucune émotion."

Commentateurs médicaux

Le premier fut, semble-t-il, Hérophilos, vers 300 avant J.-C.

Baccheius, son élève, édita Épidémies III, composa des notes sur trois traités hippocratiques, et publia un glossaire.

Le plus célèbre des commentateurs d'Hippocrate est Héraclide de Tarente, médecin et scientifique.

Érotien, à l'époque de Néron, composa un glossaire des termes hippocratiques peu usuels.

 

(1)  Iliade 5, 401; 900; sch.ad 858; Odyssée 4, 232; sch.ad 231.

(2)  A. Pichot, p. 355, est d'un avis contraire.

(3)  Farrington, p. 75, ne croit pas à cette dette des médecins à l'égard des philosophes (cf. sur ce point avant tout Ancienne médecine).

(4)  V. A. Pichot, pp. 232-7.

(5)  V. Aëtius 5, 30, 1: Ἀλκμαίων τῆς μὲν ὑγιείας ειναι συνεκτικὴν τὴν ἰσονομίαν τῶν δυνάμεων, ὑ̔γροῦ, ξηροῦ, θερμο, πικροῦ, γλυκέος, καὶ τῶν λοιπῶν, τὴν δ᾿  ἐν αὐτοῖς μοναρχίαν νόσου ποιητικήν· φθοροποιὸν γὰρ ἑκατέρου μοναρχίαν.

(6)  Pour les théories médicales de Philolaos, voir les Iatrika de Ménon, in Hermès 28, 417 sqq.

(7)  Pas vraiment distincte dans le fond de l'école de Crotone.

(8) Pour sa biologie, v. A. Pichot, pp. 332-6.

(9)  10, 5.

(10) juste mentionnée par Lloyd, p. 67.

(11) Loeb vol. 1, p. xvi

(12) Jones, Loeb vol. II, pp. 333-336.

(13) V. Loeb vol. I, xiv.

(14) Pour prouver que le corps laisse échapper des émanations imperceptibles, il imagina le procédé suivant: après avoir pesé un oiseau, il l'enferma dans un espace soigneusement clos; au bout d'un certain temps, il le sortit, pesa de nouveau l'oiseau, ainsi que ses excréments, ce qui fit ressortir une différence de poids prouvant son hypothèse.

(15) Léon Robin affirme que: «L'empirisme médical représente un moment considérable dans l'évolution du scepticisme antique et, on peut le dire, dans l'histoire de la pensée humaine; il constitue l'effort le plus heureux qui ait été fait par les Anciens pour dégager de la philosophie, c'est‑à‑dire d'une métaphysique plus ou moins déguisée, la notion propre de la science, et cela en ce qui concerne non plus les mathématiques pures ou leurs applications à la mécanique, à l'astronomie, à l'harmonique, mais la connaissance de la Nature.»

(16) Cf. Pline 12-19.

Date de dernière mise à jour : 25/11/2025

Bienvenue sur le site de Chaeréphon !

Καλῶς ἦλθες ἐν τῷ ἱστοχώρῳ τοῦ Χαιρεφῶντος !

poulpe.gif

Site consacré à la Grèce antique (langue, littérature, philosophie, sciences, histoire, archéologie, épigraphie, papyrologie),

au grec byzantin et au grec moderne.