Anthologie
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Depuis la découverte du site d'Akrotiri sur l'île de Théra-Santorin, plusieurs chercheurs rêveurs ont pensé que l'éruption de Théra avait été à l'origine de cette histoire et ont placé en Méditerranée le continent perdu de l'Atlantide, que l'on recherchait depuis longtemps dans l'Atlantique (Canaries, Açores) ou dans le Pacifique (Mu), quand ce n'était pas dans le Caucase (comme le souhaitait Staline) ou en Scandinavie (quand l'Allemagne était hitlérienne).
En fait, la seule source antique qui nous parle de l'Atlantide est Platon. Et dans l'économie de cette œuvre, ce récit a tous les caractères ainsi que le but d'un mythe platonicien: belle histoire destinée à faire adhérer l'âme à un système de valeurs quand la logique et la dialectique n'arrivent plus à la convaincre. En l'occurrence, l'opposition entre l'argent et la vertu: à vouloir servir l'argent, l'homme perd son âme, et les civilisations en meurent. Si l'Atlantide a disparu, c'est à cause de la déchéance morale de ses habitants.
"En ce temps-là, on pouvait traverser la mer Atlantique. Elle avait une île, devant ce passage que vous appelez les colonnes d'Hercule. Cette île était plus grande que la Libye et l'Asie réunies... Or dans cette île Atlantide, des rois avaient formé un empire grand et merveilleux. Cet empire était maître de l'île tout entière et aussi de beaucoup d'autres îles et de portions du continent. En outre, de notre côté, il tenait la Libye jusqu'à l'Égypte et l'Europe jusqu'à la Tyrrhénie. Or cette puissance, ayant une fois concentré toutes ses forces, entreprit, d'un seul élan, d'asservir votre territoire et le nôtre et tous ceux qui se trouvent de ce côté-ci du détroit."
"Pendant de nombreuses générations, et tant que domina en eux la nature du dieu, les rois avaient écouté les lois et étaient demeurés attachés au principe divin, auquel ils étaient apparentés. Leurs pensées étaient vraies et grandes en tout... Mais, quand l'élément divin vint à diminuer en eux, par l'effet du croisement répété avec de nombreux éléments mortels, quand domina le caractère humain, alors, incapables désormais de supporter leur prospérité présente, ils tombèrent dans l'indécence...Et le dieu des dieux, Zeus, qui règne par les lois, comprit quelles dispositions misérables prenait cette race, d'un caractère primitif si excellent. Il voulut leur appliquer un châtiment, afin de les faire réfléchir et de les ramener à plus de modération."
"Dans le temps qui suivit, il y eut des tremblements de terre effroyables et des cataclysmes. Dans l'espace d'un seul jour et d'une nuit terribles, toute votre armée fut engloutie d'un seul coup sous la terre, et de même l'île Atlantide s'abîma dans la mer et disparut."
(d'après Platon, Timée 24d-25b, Critias 120e-121b, Timée 25c-d)
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L'Homme est exceptionnel
« Il est bien des merveilles en ce monde, il n'en est pas de plus grande que l'homme.
Il est l'être qui sait traverser la mer grise, à l'heure où soufflent le vent du Sud et ses orages,
et qui va son chemin au milieu des abîmes
que lui ouvrent les flots soulevés. Il est l'être qui tourmente la déesse auguste entre toutes, la Terre,
la Terre éternelle et infatigable, avec ses charrues qui vont chaque année la sillonnant sans répit,
celui qui la fait labourer par les produits de ses cavales.
tout comme le gibier des champs et les poissons peuplant les mers, dans les mailles de ses filets,
l'homme à l'esprit ingénieux. Par ses engins il se rend maître
de l'animal sauvage qui va courant les monts, et, le moment venu,
il mettra sous le joug et le cheval à l'épaisse crinière et l'infatigable taureau des montagnes.
Parole, pensée vite comme le vent, aspirations d'où naissent les cités, tout cela, il se l'est enseigné à lui-même,
aussi bien qu'il a su, en se faisant un gîte,
se dérober aux traits du gel ou de la pluie, cruels à ceux qui n'ont d'autre toit que le ciel.
Bien armé contre tout, il ne se voit désarmé contre rien de ce que lui peut offrir l'avenir.
Contre la mort seule, il n'aura jamais de charme permettant de lui échapper,
bien qu'il ait déjà su contre les maladies les plus opiniâtres imaginer plus d'un remède.
Mais, ainsi maître d'un savoir dont les ingénieuses ressources dépassent toute espérance,
il peut prendre ensuite la route du mal tout comme du bien.
Qu'il fasse donc dans ce savoir une part aux lois de sa ville et à la justice des dieux, à laquelle il a juré foi !
Il montera alors très haut dans sa cité, tandis qu'il s'exclut de cette cité
le jour où il laisse le crime le contaminer par bravade.
Ah ! qu'il n'ait plus de place alors à mon foyer ni parmi mes amis, si c'est là comme il se comporte ! »
(Sophocle, Antigone, premier stasimon)
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Heurs et malheurs du genre humain
« Au temps jadis notre nature n'était pas la même qu'à présent, elle était très différente. D'abord il y avait chez les humains trois genres, et non pas deux comme aujourd'hui, le mâle et la femelle. Il en existait un troisième, qui tenait des deux autres; le nom s'en est conservé de nos jours, mais le genre, lui, a disparu; en ce temps-là, en effet, existait l'androgyne, genre distinct, qui pour la forme et pour le nom tenait des deux autres, à la fois du mâle et de la femelle. Aujourd'hui il n'existe plus, ce n'est plus qu'un nom déshonorant.
« Ensuite, la forme de chaque homme constituait un tout, avec un dos arrondi et des flancs bombés. Ils avaient quatre mains, le même nombre de jambes, deux visages tout à fait pareils sur un cou parfaitement rond; leur tête, au-dessus de ces deux visages situés à l'opposé l'un de l'autre, était unique; ils avaient aussi quatre oreilles, deux organes de la génération, et le reste à l'avenant, autant qu'on peut l'imaginer. Ils se déplaçaient ou bien en ligne droite, comme à présent, dans le sens qu'ils voulaient; ou bien quand ils se mettaient à courir rapidement, ils opéraient comme les acrobates qui exécutent une culbute et font la roue en ramenant leurs jambes en position droite: ayant huit membres qui leur servaient de point d'appui, ils avançaient rapidement en faisant la roue. La raison pour laquelle il y avait trois genres, et conformés de la sorte, c'est que le mâle tirait son origine du soleil, la femelle de la terre, et le genre qui participait aux deux de la lune, étant donné que la lune elle aussi participe des deux autres. Circulaire était leur forme et aussi leur démarche, du fait qu'ils ressemblaient à leurs parents. De là leur force terrible, et leur vigueur, et leur orgueil immense. Ils s'attaquèrent aux dieux, et ce que raconte Homère au sujet d'Éphialte et d'Otos concerne les hommes de ce temps-là: ils tentèrent d'escalader le ciel, pour combattre les dieux.
« Alors Zeus et les autres dieux se demandèrent quel parti prendre: ils étaient bien embarrassés. Ils ne pouvaient en effet les tuer, et détruire leur espèce en les foudroyant comme les Géants, car c'était perdre complètement les honneurs et les offrandes qui leur venaient des hommes; mais ils ne pouvaient non plus tolérer leur insolence. Après avoir laborieusement réfléchi, Zeus parla: "Je crois, dit-il, tenir un moyen pour qu'il puisse y avoir des hommes et que pourtant ils renoncent à leur indiscipline: c'est de les rendre plus faibles. Je vais maintenant, dit-il, couper par moitié chacun d'eux. Ils seront ainsi plus faibles, et en même temps ils nous rapporteront davantage, puisque leur nombre aura grandi. Ils marcheront droits sur deux jambes, mais s'ils se montrent encore insolents et ne veulent pas rester tranquilles, je les couperai en deux une fois de plus, et dès lors ils marcheront sur une seule jambe, à cloche-pied". Ayant ainsi parlé, il coupa les hommes en deux, comme on coupe les cormes pour les mettre en conserve, ou comme on coupe les œufs avec un crin. Quand il en avait coupé un, il demandait à Apollon de lui retourner le visage et la moitié du cou, du côté de la coupure, pour que l'homme, ayant sous les yeux la coupure qu'il avait subie, fût plus modeste, et il lui demandait de guérir le reste. Apollon retournait alors le visage et, ramenant de toutes parts la peau sur ce qui s'appelle à présent le ventre, comme on fait avec les bourses à cordons, il l'attachait fortement au milieu du ventre en ne laissant qu'une ouverture -- ce qu'on appelle le nombril. Puis il effaçait la plupart des plis qui subsistaient, il modelait exactement la poitrine avec un outil pareil à celui qu'emploient les cordonniers pour aplanir sur la forme les plis du cuir. Il laissa pourtant quelques plis, ceux qui se trouvent dans la région du ventre et du nombril, comme souvenir du traitement subi jadis. Quand donc l'être primitif eut été dédoublé par cette coupure, chacun, regrettant sa moitié, tentait de la rejoindre. S'embrassant, s'enlaçant l'un à l'autre, désirant ne former qu'un seul être, ils mouraient de faim, et d'inaction aussi, parce qu'ils ne voulaient rien faire l'un sans l'autre. Et quand une des moitiés était morte et que l'autre survivait, la moitié survivante en cherchait une autre et s'enlaçait à elle -- qu'elle rencontrât la moitié d'une femme entière, c'est-à-dire ce qu'aujourd'hui nous appelons une femme, ou la moitié d'un homme. Ainsi l'espèce s'éteignait. Mais Zeus, pris de pitié, s'avise d'un autre expédient: il transporte sur le devant leurs organes de la génération. Jusqu'alors en effet ils les avaient sur leur face extérieure, et ils engendraient et enfantaient non point en s'unissant mais dans la terre comme les cigales. Il transporta donc ces organes à la place où nous les voyons, sur le devant, et fit que par ce moyen les hommes engendrèrent les uns dans les autres, c'est-à-dire par l'organe mâle, dans la femelle. Son but était le suivant: dans l'accouplement, si un homme rencontrait une femme, ils auraient un enfant et l'espèce se reproduirait; mais si un mâle rencontrait un mâle, ils trouveraient au moins une satiété dans leurs rapports, ils se calmeraient et ils se tourneraient vers l'action, et pourvoiraient aux autres besoins de leur existence. C'est évidemment de ce temps lointain que date l'amour inné des hommes les uns pour les autres, celui qui rassemble des parties de notre nature ancienne, qui de deux êtres essaye d'en faire un seul, et de guérir la nature humaine.
« Chacun d'entre nous est donc une fraction d'être humain dont il existe le complément, puisque cet être a été coupé, comme on coupe les soles, et s'est dédoublé. Chacun, bien entendu, est en quête perpétuelle de son complément. Dans ces conditions, ceux des hommes qui sont une part de ce composé des deux sexes qu'on appelait alors androgyne, sont amoureux des femmes, et c'est de là que viennent la plupart des hommes adultères; de la même façon, les femmes qui aiment les hommes et qui sont adultères, proviennent de cette espèce; quant à celles des femmes qui sont une part de femme, elles ne prêtent aucune attention aux hommes, leur inclination les porte plutôt vers les femmes, et c'est de cette espèce que viennent les petites amies des dames. Ceux qui sont une part de mâle recherchent les mâles et, tant qu'ils sont enfants, comme ils sont de petites tranches du mâle primitif, ils aiment les hommes, prennent plaisir à coucher avec eux, à être dans leurs bras. Ce sont les meilleurs des enfants et des jeunes gens, parce qu'ils sont les plus virils de nature. Certains disent, bien sûr, qu'ils sont impudiques, mais c'est faux. Car ils n'agissent pas ainsi par impudicité: non, c'est leur hardiesse, leur virilité, leur air mâle, qui les fait chérir ce qui leur ressemble. En voici une bonne preuve: quand ils sont complètement formés, les garçons de cette espèce sont les seuls à se montrer des hommes, en s'occupant de politique. Devenus des hommes, ils aiment les garçons; le mariage et la paternité ne les intéressent guère -- c'est leur nature; la loi seulement les y contraint, mais il leur suffit de passer leur vie côte à côte, en célibataires. En un mot l'homme ainsi fait aime les garçons et chérit les amants, car il s'attache toujours à l'espèce dont il fait partie.
« Quand donc l'amoureux des garçons, ou tout autre homme rencontre l'être qui est précisément la moitié de lui-même, une émotion extraordinaire les saisit, effet de l'amitié, de l'affinité, de l'amour, et ils refusent d'être, si l'on peut dire, détachés l'un de l'autre, ne fût-ce qu'un moment. Et ces êtres, qui passent toute leur vie l'un avec l'autre sont des gens qui ne sauraient même pas dire ce qu'ils attendent l'un de l'autre; nul ne peut croire en effet que ce soit la jouissance amoureuse, et se figurer que telle est la raison de leur joie et de leur grand empressement à vivre côte à côte. C'est autre chose, évidemment, que veut l'âme de chacun, une chose qu'elle ne peut exprimer, mais elle devine ce qu'elle veut et le laisse obscurément entendre. Et si, tandis qu'ils sont couchés ensemble, Héphaïstos se dressait devant eux avec ses outils et leur demandait: "Hommes, que voulez-vous l'un de l'autre ?" et si, les voyant embarrassés, il demandait encore: "Votre désir n'est-il pas de vous identifier l'un à l'autre autant qu'il est possible, de manière à ne vous quitter ni la nuit ni le jour? Si tel est votre désir, je veux bien vous fondre ensemble et vous souder l'un à l'autre au souffle de ma forge, en sorte que de deux vous ne fassiez qu'un seul et que toute votre vie vous viviez tous deux comme si vous n'étiez qu'un, et qu'après votre mort, là-bas, chez Hadès, vous ne soyez pas deux, mais un seul, dans une mort commune. Voyez: est-ce à cela que vous aspirez ? et ce sort vous satisfait-il ?" À ces paroles aucun d'eux, nous le savons, ne dirait non, et ne montrerait qu'il veut autre chose. Il penserait tout simplement qu'il vient d'entendre exprimer ce que depuis longtemps sans doute il désirait: se réunir et se fondre avec l'être aimé, au lieu de deux n'être qu'un seul.
« La raison en est que notre nature originelle était comme je l'ai dit, et que nous formions un tout: le désir de ce tout et sa recherche a le nom d'amour. Auparavant, comme je l'affirme, nous étions un. Mais maintenant, pour nos fautes, nous avons été séparés d'avec nous-mêmes par le dieu, tout comme les Arcadiens l'ont été par les Lacédémoniens. Nous devons donc craindre, si nous ne respectons pas nos devoirs à l'égard des dieux, d'être une fois de plus fendus par le milieu, et de nous promener pareils aux personnages qu'on voit figurés de profil en bas-relief sur les stèles, coupés en deux selon la ligne du nez, et semblables à des moitiés de jetons. Voilà pourquoi l'on doit exhorter tout homme à la piété, en toute chose, à l'égard des dieux, afin que nous échappions à un état et que nous parvenions à l'autre, comme le veut l'Amour, notre guide et notre chef. A lui, que personne ne s'oppose -- et c'est s'opposer à lui que de se rendre haïssable aux dieux. Car si nous devenons les amis de ce dieu, si nous faisons notre paix avec lui, nous découvrirons et nous rencontrerons les bien-aimés qui nous appartiennent en propre, ce que peu de gens à présent réalisent. »
(Platon, Banquet 189 d - 193 d.)
Les 2 images ci-dessus sont tirées de Le Banquet de Platon en BD aux Éditions Phylactère et Trismégiste, 1984.
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« Il fut jadis un temps où les dieux seuls existaient et non les races mortelles. Quand arriva le terme fixé par le destin pour leur naissance, les dieux les fabriquèrent à l'intérieur de la terre à partir de terre, de feu, et de divers mélanges à base de feu et de terre. Quand ils furent sur le point de les conduire à la lumière du jour, ils chargèrent Prométhée et Épiméthée de les équiper en distribuant les facultés à chacun comme il convient. Épiméthée demande alors à Prométhée de le laisser faire : "Quand j'aurai fait la distribution, dit-il, passe l'inspection."
Prométhée accepte et Épiméthée procède à la distribution. Aux uns il attribua la force sans la vitesse, mais il fit don de la vitesse aux plus faibles. À certains il donna des armes ; pour ceux dont la nature en était privée, il inventa une autre faculté susceptible d'assurer leur salut. À ceux qui avaient une petite taille, il fit don de la fuite ailée ou du refuge d'une demeure souterraine. À d'autres il accorda une grande taille et cette taille assura leur salut. Il distribuait ainsi toutes les facultés en maintenant un équilibre entre tous et prenait soin par ces inventions d'éviter qu'aucune race ne disparût. Lorsqu'il eut ainsi permis à chacun d'échapper aux destructions réciproques, il inventa des moyens de les protéger des intempéries venues de Zeus, les revêtant de poils touffus et d'une peau épaisse suffisant pour les protéger du froid, capables aussi de résister aux chaleurs de l'été et qui fournissaient à chacun, à l'heure de dormir, une couche personnelle et naturelle ; et il chaussa les uns de sabots, les autres de cuir calleux et privé de sang. Ensuite il fournit à chacun des modes de nourriture variés. Aux uns les herbes de la terre, à d'autres les fruits des arbres, à d'autres encore des racines. À quelques-uns il attribua pour nourriture la chair d'autres animaux; mais il ne leur donna qu'une rare progéniture tandis qu'il accordait à leurs proies une fécondité abondante, permettant la préservation de l'espèce. Cependant comme Épiméthée n'était pas parfaitement sage, il lui échappa qu'il avait distribué entre les êtres privés de raison toutes les facultés dont il disposait.
Restait l'espèce humaine qui n'avait encore rien reçu, et il ne savait que faire. Il était en plein embarras quand Prométhée arrive pour inspecter son travail. Il voit que toutes les races sont harmonieusement munies de tout, sauf l'homme qui reste nu, sans chaussures, sans couverture, sans armes. Et c'était déjà l'heure fixée par le destin où l'homme devait sortir de la terre pour accéder à la lumière. Ne sachant quel moyen trouver pour assurer le salut de l'homme, Prométhée dérobe le savoir artisanal d'Héphaïstos et d'Athéna, et le feu en même temps - car il était impossible sans le feu d'acquérir ce savoir ou d'en user -, et il en fait don à l'homme. Ainsi l'homme prit possession des savoirs nécessaires à la vie mais non de la science politique qui était auprès de Zeus. Et Prométhée n'avait plus le temps de se rendre sur l'acropole céleste dans la demeure de Zeus, où, de plus, il y avait de terribles sentinelles; tandis que dans l'atelier que partageaient Héphaïstos et Athéna, où ils aimaient à pratiquer leur art, il put pénétrer sans être vu; il y vola l'art du feu qui est l'apanage d'Héphaïstos, les arts d'Athéna et en fit don à l'homme. Grâce à cela, l'homme dispose du moyen de survivre, mais, à cause d'Épiméthée, Prométhée fut, ce dit-on, par la suite poursuivi pour vol. Comme il avait reçu une part du lot divin, l'homme, du fait de sa parenté avec la divinité, fut d'abord le seul des êtres vivants à honorer les dieux et il se mit à ériger des autels et des représentations des dieux. Ensuite, grâce à l'art, il parvint à émettre des sons articulés, des mots ; il inventa habitations, vêtements, chaussures, couvertures et tira sa nourriture de la terre. Ainsi équipés, les humains, dans les premiers temps, vivaient dispersés.
Aussi étaient-ils tués par les animaux sauvages, beaucoup plus forts qu'eux à tous égards. Si leur activité d'artisan suffisait à les nourrir, elle ne leur permettait pas de lutter contre les bêtes sauvages. Car ils ne possédaient pas encore l'art politique, dont l'art de la guerre est une partie. Ils cherchaient à se rassembler et à fonder des cités pour assurer leur salut. Mais, à chaque fois qu'ils se rassemblaient en cités, comme ils ignoraient tout de l'art politique, ils se faisaient du tort réciproquement, si bien qu'ils se dispersaient de nouveau et de nouveau périssaient. Zeus alors, craignant la disparition de notre race tout entière, envoie Hermès porter aux hommes Respect et Justice pour unir les cités par des principes d'ordre et des liens d'amitié. Hermès donc demande à Zeus de quelle manière il doit distribuer Respect et Justice : "Dois-je procéder comme pour les arts, c'est-à-dire en instituant un seul professionnel, de médecine ou de tout autre art, pour un grand nombre de gens ? Est-ce ainsi que je dois établir aussi Respect et Justice chez les humains ou dois-je les distribuer à tous ?" -- "À tous, répondit Zeus. Il faut que tous y aient part car les cités ne pourraient exister si seulement un petit nombre d'humains y avaient part, comme c'est le cas pour les autres arts; et établis cette loi en mon nom que l'homme qui ne peut avoir part à la Justice et au Respect soit mis à mort, en tant que fléau de la cité." »
(Platon, Protagoras, 320 d - 322 d)
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Un rival des dieux, tel me semble l'homme saisissante, lorsque tu ris -- ce rire et ma langue est comme brisée; se glisse la sueur ruisselle sur tous mes membres, |
Je vis, je meurs: je me brule et me noye. Tout à un coup je ris et je larmoye, Ainsi Amour inconstamment me peine: Puis quand je croy ma joye estre certeine, |
trad. Ph. Brunet |
Louise Labé, 1555 |
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« Dès le point du jour, nous reprîmes la mer par un vent assez doux. Mais sur le midi, alors que l'île n'était plus en vue, soudain, un tourbillon se forma, fit tournoyer le navire, le souleva à une hauteur d'environ trois cents stades et le maintint en l'air, sans le laisser retomber sur la mer; tandis que le bateau était ainsi suspendu dans les airs, le vent, soufflant dans les voiles, l'emporta en gonflant la toile. Nous naviguâmes donc ainsi dans les airs pendant sept jours et autant de nuits, et, le huitième, nous vîmes une grande terre, pareille à une île dans l'air, brillante, en forme de sphère et illuminée d'une lumière éclatante. Nous y abordâmes et, après avoir amarré le bateau, nous débarquâmes. À l'examen, il se révéla que cette terre était habitée et cultivée. Pendant le jour, de là, on ne pouvait rien voir, mais, la nuit venue, beaucoup d'autres îles nous apparurent, assez proches, les unes plus grandes, les autres plus petites, et leur couleur était celle du feu. Nous vîmes aussi une autre terre, au-dessous de nous, avec des fleuves, une mer, des forêts et des montagnes. Nous conjecturâmes que c'était la terre que nous habitions.
« Nous décidâmes de pénétrer plus avant, mais nous fumes arrêtés par des Cavaliers-Vautours, que nous rencontrâmes. Ces Cavaliers-Vautours sont des hommes montés sur de grands vautours et se servant des oiseaux comme de chevaux. Les vautours sont énormes et la plupart ont trois têtes. On peut se faire une idée de leur taille d'après ceci: le mât d'un très grand bateau de commerce est moins long et moins épais que chacune de leurs plumes. Ces Cavaliers-Vautours ont pour mission de faire en volant le tour du pays et, s'ils rencontrent un étranger, de l'amener au Roi. Aussi nous arrêtèrent-ils et nous emmenèrent-ils devant celui-ci. Le Roi nous examina et, jugeant à notre vêtement, nous dit: " Vous êtes Grecs, n'est-ce pas, étrangers ?" Et comme nous disions oui, il reprit: " Et comment êtes-vous arrivés ici, avec une telle étendue d'air à traverser ? " Nous lui racontâmes tout, après quoi il se mit à nous raconter sa propre histoire, comment il était, lui aussi, un être humain, appelé Endymion, comment il avait été enlevé à notre terre, autrefois, alors qu'il était endormi et comment, à son arrivée dans ce pays, il en était devenu le Roi. Il nous dit que le pays où nous étions était la lune, que nous voyions, d'en bas, briller au-dessus de nous, lorsque nous étions sur la terre.
« Au point du jour, dès que nous fûmes levés, nous nous rangeâmes en bataille, car les éclaireurs signalaient l'approche des ennemis. L'effectif de l'armée montait à cent mille combattants. Il y avait parmi eux quatre-vingt mille Chevautours: ce sont des hommes montés sur de grands vautours et qui se servent de ces oiseaux comme de chevaux; les vautours sont énormes et ont généralement trois têtes. Puis vingt mille cavaliers montés sur des Choux-ettes: ce sont aussi des oiseaux énormes tout couverts de légumes au lieu de plumes et dont les ailes ressemblent fort à des feuilles de laitue. Près d'eux on avait placé les Armilleurs, qui bombardent l'ennemi de graines de millet, et les Soldaillés, ou combattants à la gousse d'ail. Il y avait aussi des alliés de la Grande Ourse, trente mille Archers-puces et cinq mille Ventassins. Les Archers-puces chevauchent d'énormes puces et ces puces sont aussi grosses que douze éléphants. Les Ventassins sont des fantassins qui se déplacent dans l'air sans ailes. Voici comment ils arrivent à voler: ils ont des tuniques qui descendent jusqu'aux talons, ils les retroussent, les gonflent de vent comme des voiles et ils naviguent dans l'air comme les bateaux ».
(Lucien, Histoire vraie I, 9-13)
Dans le ventre de la baleine
« Le jour suivant, nous levâmes l'ancre et nous continuâmes notre route, qui se rapprochait déjà des nuages. Là, nous vîmes la ville de Coucou-les-Nuées, que nous admirâmes, mais nous n'y abordâmes point, car la brise ne le permit pas. On disait que le Roi en était Corbeau Merle. Et je me souvins du poète Aristophane, si savant, si véridique, que l'on a bien tort de ne pas croire dans ce qu'il a écrit. Le surlendemain, nous avions l'Océan clairement en vue, mais aucune terre nulle part, sinon celles qui se trouvaient en l'air, et qui nous apparaissaient couleur de feu et brillant d'un éclat extraordinaire. Le quatrième jour, vers midi, le vent faiblit progressivement et tomba, nous déposant sur la mer. Au moment où nous touchâmes l'eau, nous fûmes extraordinairement joyeux et fîmes toutes les réjouissances possibles étant donné les circonstances; puis, nous jetant à l'eau, nous nageâmes, car il se trouvait que la mer était calme et sans vagues.
« Mais il semble que souvent un changement pour le mieux marque le début de plus grands maux. Nous venions en effet de naviguer par beau temps pendant deux jours lorsque, soudain, le troisième, au lever du soleil, nous voyons des monstres, parmi lesquels force baleines; l'une d'elles, la plus grande de toutes, mesurant environ mille cinq cents stades, se précipita sur nous la gueule ouverte, agitant la mer loin devant elle, au milieu d'un tourbillon d'écume, montrant des dents plus longues que les phallos de chez nous, toutes aussi aiguës que des pieux et aussi blanches que de l'ivoire. Nous nous dîmes adieu et serrés les uns contre les autres, nous attendîmes. Elle était déjà sur nous et nous avala d'une seule bouchée, hommes et bateau. Pourtant, nous échappâmes -- mais de peu -- à ses dents; à travers les intervalles de celles-ci, le navire glissa vers l'intérieur du monstre. Lorsque nous fûmes à l'intérieur, d'abord, ce fut l'obscurité, et nous ne voyions rien. Mais plus tard, lorsque la bête ouvrait la gueule, nous vîmes une vaste caverne, entièrement plate, élevée, assez grande pour contenir une ville immense. Au milieu se trouvaient des poissons, grands et petits, et beaucoup d'autres animaux, pêle-mêle, ainsi que des mâts de navires, des ancres, des ossements humains, des marchandises; au milieu il y avait une terre avec des collines, formée, je crus comprendre, de la vase qu'elle avait absorbée. Du moins avait-il poussé en son milieu une forêt d'arbres de toutes sortes, des légumes y croissaient et tout avait l'air cultivé. Le périmètre de cette terre était de deux cent quarante stades ! On y voyait aussi des oiseaux de mer, mouettes et alcyons, qui avaient leur nid sur les arbres.
« Alors, nous pleurâmes longtemps, puis, secouant mes compagnons, je fis mettre le bateau à l'abri en l'échouant et nous-mêmes, frottant des bâtons l'un contre l'autre et allumant ainsi du feu, nous préparâmes à dîner, autant que le permettaient les circonstances. Nous avions en abondance la chair de toutes sortes de poissons, et encore de l'eau de l'Étoile du Matin. Lorsque nous fûmes levés, le lendemain, chaque fois que la baleine ouvrait la gueule, nous voyions tantôt des montagnes, tantôt seulement le ciel, et souvent des îles; et nous comprenions que l'animal voyageait rapidement dans toutes les parties de la mer. Une fois que nous fûmes habitués à ce genre de vie, je pris avec moi sept de mes compagnons et je me dirigeai vers la forêt, avec l'intention de tout explorer. Nous n'avions pas encore franchi tout à fait cinq stades que je trouvai un temple de Poséidon, comme le montrait l'inscription, et, à quelque distance, quantité de tombes et de stèles; tout à coté, encore, une source d'eau limpide; nous entendîmes aussi aboyer un chien et, de loin, nous aperçûmes de la fumée, et nous distinguâmes même une ferme.
« Nous nous hâtâmes d'avancer et nous rencontrâmes un vieillard et un jeune homme fort occupés à travailler un jardin qu'ils arrosaient avec l'eau de la source; remplis à la fois de joie et de crainte, nous nous arrêtâmes, et eux aussi, éprouvant, apparemment, les mêmes sentiments que nous, s'arrêtèrent, sans proférer un son. À la fin, le plus âgé nous dit: " Qui êtes-vous donc, ô étrangers? Êtes-vous des démons marins ou des hommes infortunés comme nous ? Car, nous sommes des êtres humains, nous avons été nourris sur terre, et maintenant nous sommes devenus des créatures marines et nous nageons, entraînés par la bête qui nous enferme, sans savoir au juste quelle est notre condition: selon toute vraisemblance, nous sommes morts, mais nous croyons fermement être vivants." À ce discours je répondis: "Nous aussi nous sommes des hommes, mon père, des nouveaux-venus, car nous avons été avalés hier, avec notre bateau, et nous allons maintenant en reconnaissance, pour savoir ce qu'il y a dans la forêt. Car nous avons vu qu'elle est grande et touffue. Mais une divinité, il semble, nous a amenés ici pour te voir et apprendre que nous ne sommes pas les seuls à être ainsi prisonniers de la bête. Mais toi, dis-nous quel fut ton sort, qui tu es, et comment tu es venu ici. " Il ne consentit pourtant pas à nous répondre ni à nous poser aucune question avant de nous avoir offert le présent d'hospitalité dont il pouvait disposer, et, nous prenant avec lui, il nous conduisit dans sa maison. Il s'en était fait une fort commode, avec des lits de table maçonnés et tout un mobilier. Il nous servit des légumes, des fruits et du poisson, et, par là-dessus, il nous versa du vin. Lorsque nous fûmes bien rassasiés, il nous demanda ce qui nous était arrivé; moi, je lui racontai toute la suite de nos aventures, la tempête, l'histoire de l'île et notre navigation aérienne et tout le reste jusqu'à notre descente dans la baleine.
« Il fut extrêmement étonné, puis, lui-même, à son tour, nous raconta son histoire: "Je suis, Messieurs", commença-t-il, "d'origine chypriote. Je quittai ma patrie à bord d'un navire pour faire du commerce, avec mon fils, que vous voyez, et quantité de serviteurs; nous fîmes route vers l'Italie, en emportant une cargaison d'objets divers sur le grand navire que vous avez peut-être vu, naufragé, dans la gueule de la baleine. Jusqu'à la Sicile, nous fîmes un bon voyage, à partir de ce point nous fûmes saisis par un vent violent qui, pendant trois jours, nous entraîna vers l'Océan, où nous rencontrâmes la baleine qui nous avala, avec tout l'équipage; il n'y eut de sauvés que nous deux, les autres périrent. Nous enterrâmes nos compagnons, construisîmes un temple à Poséidon et nous menons la vie que vous voyez, cultivant des légumes, nous nourrissant de poissons et de fruits. La forêt, comme vous voyez, est très vaste; elle contient aussi beaucoup de vigne qui produit un vin très agréable; vous avez probablement vu aussi la source, dont l'eau est très belle et très fraîche. Nous nous faisons des lits de feuillage, nous brûlons autant de bois que nous voulons, nous attrapons les oiseaux qui volent jusqu'ici, nous pêchons des poissons vivants en allant jusque dans les branchies du monstre, où nous nous baignons, aussi chaque fois que nous en avons envie. Il y a aussi un lac non loin d'ici, d'une circonférence de vingt stades où vivent des poissons de toutes sortes; nous y nageons et nous y naviguons sur une petite barque que j'ai construite moi-même. Il y a maintenant vingt-sept ans depuis que nous avons été avalés, et nous pourrions sans doute supporter notre vie, dans l'ensemble, si nos voisins et les gens du pays n'étaient franchement insupportables et ennuyeux, tant ils sont insociables et sauvages. "Quoi, m'écriai-je, il y a encore d'autres gens dans la baleine ? -- Beaucoup, répondit-il, mais inhospitaliers et de formes bizarres. Dans la partie ouest de la forêt et du côté de la queue, vivent les Salaisonniers, une race à œil d'anguille et tête de crabe belliqueuse, violente et cannibale. Sur l'autre bord, à tribord, les Tritonboucs, qui ont le haut du corps pareil à celui d'un homme et le bas comme un espadon; ils sont toutefois moins méchants que les autres. A bâbord, les Langoustopattes et les Têtes-de-Thon, qui sont alliés et amis entre eux. La région de l'intérieur est habitée par les Crabéens et les Solipattes, peuplades belliqueuses et très rapides à la course. L'Est, du côté de la gueule, est généralement désert car il est souvent inondé par la mer. C'est pourtant là que je vis, moyennant une redevance de cinq cents huîtres par an, que je paie aux Solipattes. Tel est ce pays. À vous de voir comment nous pourrons lutter contre tant de peuples et comment nous vivrons. -- Combien sont-ils en tout ? demandai-je. -- Plus de mille. -- De quelles armes disposent-ils ? -- Seulement d'arêtes de poissons. -- Eh bien, dis-je, le mieux serait de leur livrer bataille, puisqu'ils sont sans armes et que nous, nous sommes armés. Si nous sommes vainqueurs, nous vivrons ici en paix le reste de notre vie."
« La proposition fut acceptée et nous retournâmes au navire pour nous préparer. Le prétexte de la guerre devait être le refus du tribut, car le jour fixé pour le payer était imminent. Et précisément ils envoyaient chercher la redevance. Mais notre hôte, après avoir fait une réponse insolente, mit les envoyés à la porte. Sur quoi les Solipattes et les Crabéens, furieux contre Skintharos (c'était le nom du vieillard), accoururent en faisant beaucoup de bruit. Nous, qui avions prévu leur attaque, nous les attendions tout armés, après avoir mis en embuscade en avant de notre ligne un groupe de vingt-cinq hommes, qui avaient pour mission, lorsqu'ils auraient vu que l'ennemi les avait dépassés, de leur tomber dessus. Ce qui fut fait. Ils les attaquèrent par derrière et en firent un grand carnage, tandis que nous, au nombre de vingt-cinq (car Skintharos et son fils se battaient à nos côtés), nous leur résistions en face, apportant dans la mêlée tout notre courage et toute notre ardeur. Finalement, nous les mîmes en déroute et nous les poursuivîmes jusqu'à leurs tanières. Du côté de l'ennemi, il y eut cent soixante-dix morts, de notre côté un seul, le pilote, qui eut la poitrine traversée par une arête de rouget. Ce jour-là et la nuit suivante, nous campâmes sur le champ de bataille et nous élevâmes un trophée, en plantant une arête dorsale sèche de dauphin. Le jour suivant, les autres, qui avaient appris la chose, firent leur apparition; leur aile droite était tenue par les Salaisonniers -- commandés par Morue -- l'aile gauche par les Têtes-de-Thon, le centre par les Langoustopattes. Quant aux Tritonboucs, ils ne participèrent pas à la bataille, car ils n'avaient voulu s'allier à aucun des deux camps. Nous nous avançâmes à leur rencontre et la mêlée s'engagea prés du temple de Poséidon, avec de grands cris, et l'intérieur de la baleine résonnait comme une caverne. Nous les mîmes en fuite, car ils étaient à peu près sans armes, et nous les poursuivîmes dans la forêt; après quoi, nous restâmes maîtres du pays. Peu de temps après, ils nous envoyèrent des hérauts pour réclamer leurs morts et nous parlèrent d'amitié. Mais nous décidâmes de refuser toute trêve; le lendemain, nous reprîmes la campagne et nous les exterminâmes tous jusqu'au dernier -- tous, sauf les Tritonboucs. Ceux-ci, voyant ce qui se passait, s'échappèrent au plus vite par les branchies et se jetèrent dans la mer. Quant à nous, nous occupâmes le pays désormais vide d'ennemis et nous l'habitâmes dés lors sans crainte, passant la plus grande partie du temps à pratiquer les sports, à chasser, à travailler la vigne, à cueillir les fruits des arbres; bref notre vie était celle de gens laissés libres à l'intérieur d'une vaste prison, d'où ils ne peuvent s'échapper, et y vivant dans l'abondance.
« Pendant un an et huit mois, nous continuâmes cette existence. Mais, le cinquième jour du neuvième mois, à peu prés au moment où le monstre ouvrait la gueule pour la seconde fois (la baleine l'ouvrait une fois par heure, si bien que nous calculions l'heure d'après le nombre d'ouvertures), donc, vers la seconde ouverture, comme je l'ai dit, nous entendîmes soudain de grands cris et du tumulte, et comme des commandements et des bruits de rames. Inquiets, nous rampâmes jusque dans la gueule du monstre et, nous tenant debout en deçà des dents, nous vîmes le spectacle le plus étrange qu'il me fut donné de contempler: des hommes énormes, d'une taille d'un demi-stade environ, et naviguant sur de grandes îles comme sur des trières. Je sais bien que ce que je vais raconter semblera incroyable; je le dirai pourtant. Ces îles étaient longues, mais non très hautes; elles avaient chacune une circonférence d'environ cent stades ; et sur elles se trouvaient embarqués dans les cent vingt de ces hommes; parmi eux, les uns, assis de chaque côté de l'île, l'un derrière l'autre, ramaient avec de grands cyprès, munis de leurs rameaux et de leurs feuilles qui leur servaient d'avirons. À l'arrière, à la poupe, en quelque sorte, se trouvait un pilote, sur une haute colline, et dans sa main il tenait un gouvernail de bronze long de cinq stades. À la proue, environ quarante hommes armés combattaient, ils avaient absolument l'aspect d'êtres humains, sauf la chevelure, qui était du feu et brûlait, si bien qu'ils n'avaient pas besoin d'aigrettes de casque. En guise de voiles, le vent soufflait dans les forêts, fort denses sur chacune de ces îles, les gonflait et entraînait l'île où le pilote le désirait. Un maître de nage commandait la chiourme et le mouvement des rames faisait avancer rapidement ces îles, comme des navires de guerre.
« D'abord, nous en vîmes deux ou trois, puis il en apparut environ six cents, qui se divisèrent en deux partis et se livrèrent bataille. Beaucoup d'entre elles s'éperonnèrent par l'avant; beaucoup, sous le choc, furent coulées. D'autres, accrochées entre elles, luttaient courageusement et avaient du mal à se dégager, car les soldats postés de la proue déployaient toute leur ardeur à monter à l'abordage et à massacrer; on ne faisait pas de quartier. En guise de grappins de fer, ils se jetaient réciproquement de grandes pieuvres amarrées à des filins et ces pieuvres, s'accrochant à la forêt, maintenaient le navire. Ils se bombardaient et se blessaient avec des huîtres grandes comme des charrettes et des éponges d'un plèthre. Le chef d'un des deux partis était Éolocentaure, celui de l'autre Avalemer. La cause de cette bataille était, semble-t-il, un acte de piraterie. On disait qu'Avalemer avait dérobé quantité de troupeaux de dauphins appartenant à Éolocentaure, ainsi que nous pûmes l'apprendre tandis qu'ils s'adressaient entre eux des injures et qu'ils criaient le nom de leur roi. Finalement, la victoire resta au parti d'Éolocentaure, qui coula les îles des ennemis, au nombre de cent cinquante, et en captura trois autres, avec les équipages. Les autres s'échappèrent à reculons et s'enfuirent. L'ennemi les poursuivit sur quelque distance mais, comme c'était le soir, les poursuivants virèrent de bord et revinrent pour recueillir les épaves: la plupart était du butin, dont ils s'emparèrent; le reste était à eux, ils le ramassèrent. De leur côté, pas moins de quatre-vingts îles avaient été coulées. Ils dressèrent aussi un trophée en souvenir de la bataille d'îles, en plantant une des îles ennemies sur la tête de la baleine. Cette nuit-là, ils campèrent autour de l'animal, auquel ils avaient attaché leurs câbles d'amarrage et jetèrent l'ancre dans ses eaux. Ils se servaient d'ancres de cristal, très robustes. Le lendemain, ils célébrèrent un sacrifice sur la baleine, enterrèrent dans son corps leurs propres morts et s'en allèrent joyeux, chantant une sorte d'hymne de victoire. Voilà l'histoire de la bataille d'îles ».
Lucien, Histoire vraie I
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Le premier reportage sportif :
la course de chars de l'Iliade
De notre envoyée spéciale à Troie
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Un départ en flèche « Alors les cochers levèrent le fouet, frappèrent les chevaux de leur lanière, les excitèrent de la voix, d'un seul élan; et eux se hâtaient de parcourir la plaine, rapidement. Sous leur poitrail, la poussière se dressait, soulevée, comme un nuage ou un tourbillon; et leurs crinières flottaient au souffle du vent. Les chars tantôt s'abaissaient vers la terre, tantôt bondissaient en l'air. « Leurs conducteurs étaient debout dans la caisse, et le cœur de chacun palpitait du désir de la victoire; ils excitaient chacun leurs chevaux, qui volaient dans la poussière... Eumèlos en tête « Les chevaux allongèrent leur galop; et, aussitôt, les juments rapides d'Eumèlos se détachèrent. Derrière elles se détachèrent les étalons de Diomède; ils n'étaient pas très loin, mais tout près; sans cesse il semblait qu'ils allaient monter sur le char, et, de leur souffle, Eumèlos sentait son dos et ses épaules chauffés: car ils avaient la tête sur lui, en volant. Et Diomède aurait passé ou lui aurait disputé la victoire, si Apollon ne s'était mis en colère: il fit tomber des mains de Diomède le fouet brillant. De ses yeux coulèrent des larmes de rage, à voir les juments aller plus vite encore, et ses chevaux désavantagés, car ils couraient sans aiguillon. La malchance... ou les dieux s'en mêlent « Mais il n'échappa pas à Athéna qu'Apollon trichait pour nuire à Diomède. À l'instant elle s'élança vers le roi, lui donna un fouet, mit de l'ardeur en ses chevaux; puis, la rage au cœur, elle se tourna vers Eumèlos. La déesse brisa le joug de son attelage; les juments partirent chacune d'un côté du chemin; dans leur course, le timon roula par terre; Eumèlos lui-même tomba du char contre une roue, se déchira les coudes, la bouche, le nez, se blessa au front, au-dessus des sourcils. Ses yeux se remplirent de larmes, sa voix vigoureuse s'arrêta. Diomède l'évita avec ses chevaux, et bondit bien avant les autres ... |
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Un dépassement risqué « Tout de suite après, l'ardent Antilochos vit le chemin rétréci et creusé. Il y avait dans la terre un creux, par où l'eau de pluie amassée avait emporté une partie de la route, et creusé toute la place. Par là se dirigeait Ménélas, évitant un accrochage. Antilochos fit sortir ses chevaux aux sabots massifs de la route, et, inclinant un peu de côté, les pressa. Ménélas eut peur, et cria à Antilochos: "Antilochos, tu conduis comme un fou, retiens tes chevaux! La route est étroite. Bientôt, quand elle sera plus large, tu me dépasseras. Ne nous perds pas tous les deux, en heurtant mon char!" « Malgré ses paroles, Antilochos poussa ses chevaux encore plus vite, les pressant de l'aiguillon. La distance que parcourt un disque, lancé de la hauteur de l'épaule par un homme jeune et robuste, fut celle sur laquelle ils coururent de front; et, brusquement, reculèrent les juments de Ménélas; car, de lui-même, il renonça à les pousser, de peur de voir, dans le chemin, les chevaux se heurter, renverser les chars bien tressés, et les cochers eux-mêmes tomber dans la poussière, dans leur hâte de gagner.... » |
Classement final: 1. Diomède (Thrace) (Homère, Iliade 23, 362 sqq.) |
Date de dernière mise à jour : 05/07/2021