Femmes fantômes

On trouve sur l’Internet plusieurs sites, anonymes mais aussi « sérieux » comme celui de l’université d’Arizona, qui mentionnent des femmes mathématiciennes ou savantes fantômes. Tous ces sites, mais aussi quelques ouvrages signés (cf. infra) donnent les mêmes informations et apparemment se copient les uns les autres, sans jamais toutefois citer de sources. Toutes ces informations semblent remonter à l’ouvrage que Ménage dédie à Mme Dacier (Historia mulierum philosopharum, Lyon 1690), qui reposait sur un texte mal établi de Jamblique.

* Pandrosion

Pandrosion d’Alexandrie (4e s. apr.) aurait fait de la géométrie et aurait été l’élève de Pappus, qui lui dédicace un de ses livres.

Wilbur Richard Knorr (Textual Studies in Ancient and Medieval Geometry, 1989) considère qu’il s’agit d’une femme. D’autres historiens considèrent que c’est un homme…
Or Pappus, Synagoge 3, 30, dit ὦ κράτιστε Πανδροσίον, comme il dit ailleurs (Synagoge 5, 304) ὦ κράτιστε Μεγεθίον.

Il faut donc admettre qu’il s’agit d’un homme, Πανδροσίων (τοῦ Πανδροσίονος, ὦ Πανδροσίον).
Inconnue de Pape-Benseler.

* Eloris

Eloris de Samos (6e s. av.) aurait été l’élève de Pythagore et se serait elle aussi occupée de géométrie.

Dans les sources antiques, on trouve certes le nom d’Eloris, mais comme celui d’un homme (par ex. l’ami de Denys de Syracuse), jamais comme celui d’une femme. En plus, l'esprit rude du grec devrait aboutir à Héloris. L’interprétation « femme mathématicienne » provient sans doute d’une fausse interprétation du texte de Jamblique (Vie de Pythagore 36, 267) qui donne la liste des disciples de Pythagore : Σάμιοι Μέλισσος, Λάκων, Ἄρχιππος, Ἑλώριππος, Ἕλωρις, Ἵππων. Or rien dans ce texte ne prouve qu’il s’agisse d’une femme. Il s’agit sans aucun doute d’une méconnaissance morphologique : Héloris féminin, comme polis, mais il y a beaucoup de noms d’homme en –is, Lysis, Agis, Cléobis, Pâris, etc.
Inconnue de Pape-Benseler.

* Lysis

C’est un nom d’homme !

* Polygnoté

Un site grec, puisant dans un ouvrage grec (V. Spandago and D. Travlou, Mathematicians of Ancient Greece ; Athènes, éd. Aithra, 1994), nous donne les renseignements suivants sur Polygnoté :

« The historian Lovon the Argeian, mention Polygnoti (7th to 6th century B.C.) as companion and student of Thales the Milisian. She was considered very good in geometry and Vitruvius mentions that she is believed to be the first who introduced "acrophonia", using initial letters of names of numbers, to describe those numbers (i.e. Δ = δέκα 10, X= Χίλια 1000, etc.). She was the first to state and prove the theorem that "in a circle, the angle of the semicircle is a right angle" ».

Or l’historien Lobon, cité par Diogène Laërte, a composé une œuvre très sujette à caution (v. Kl. Pauly, s.v.), récoltant ou inventant des pseudo-épigrammes sur les Sept Sages, etc. Et je ne trouve aucune mention d’un nom qui pourrait ressembler à Polygnoté…

Rien chez Vitruve ! Inconnue de Pape-Benseler.

* Pythaïs

Cette fille du mathématicien Zénodore (2e s. av.) aurait travaillé avec son père sur les figures isopérimétriques.

« Eutokios mentions her and also Theon the Alexandreus (4th century AD) mentions her in his "comments on Ptolemy's mathematical syntaxis" »

Kl. Pauly, s.v. Zenodoros : rien sur sa fille.
Inconnue de Pape-Benseler.

Je n’ai rien trouvé dans les sources antiques sur Pythaïs…
Dans les ouvrages d’Eutokios et de Théon que j’ai pu consulter, aucune mention de Pythaïs ou d’un nom approchant …

Peut-être confusion avec Pythaïs, la mère de Pythagore ?

* Aithra

On trouve sur différents sites Internet la mention d’une certaine Aithra, qui aurait été professeur d’arithmétique et de logique vers le 10e-9e s., et aurait inventé l’abaque, selon Plutarque et Strabon.

Les sources antiques ne donnent rien à ce propos. Il s’agit sans doute d’une erreur de lecture. Inconnue de Pape-Benseler.

Par ailleurs, on trouve aussi la mention de *Ryndakô et de *Nisthaiadousa. Il s’agit en fait de fausses lectures de Iambl., Vit. Pyth. 36, 267 : Byndakos est en fait le frère de Philtys, et Nisthaiadousa est une fausse coupe pour Ταραντινίς, Θεάδουσα (voir les Pythagoriciennes).

* Artémisia (Ἀρτεμισία)
Le site de Wikipedia parle d’une Artémise de Carie botaniste du 4e s.

Mais il n’y a RIEN dans les sources antiques, ni RIEN dans les sources modernes.

La seule chose qui pourrait avoir quelque rapport est la suivante :
« Le nom d’Artemisia vient de Ἀρτεμισία, Diane, patronne des vierges, à cause des emplois de cette plante ; d’autres prétendent que c’est d’Artémise, femme de Mausole, qui, dit-on, employait cette plante. » (car l’armoise est emménagogue) in Dictionnaire universel de matière médicale et de thérapeutique générale, par F. V. Mérat, A. J. de Lens ; publié par la Société Belge de Librairie, 1837 ; Vol. 1, p. 206.
Le site Agora nous dit « D'après une légende, ses propriétés (scil. de l’armoise) auraient été découvertes par la solitaire reine Artémise. »

Sans aucun doute il y a eu confusion entre le nom de la femme de Mausole et le nom de la plante désignant l’armoise ou absinthe, puis une légende s’est efforcée de donner une explication étiologique. Mais pas de femme scientifique antique de ce nom-là !

* Mystis

Plant (Women writers of ancient Greece and Rome) parle d'une certaine Mystis (p. 247) en citant Tatien.

Il s'agit en fait d'une mauvaise lecture pour Myrtis !!!

* Agaclè

Poétesse mentionnée par Politien dans ses Silves. Il s'agit en fait d'une mauvaise lecture de Politien sur le manuscrit de l'Anthologie grecque en cours d'édition à l'époque, prenant pour un nom propre un adjectif qualifiant une autre poétesse (ἀγακλέα célèbre).


* Aglaïa (Ἀγλαΐα) de Byzance

On trouve parfois sous ce nom la mention d'une poétesse didactique du 1er s. apr. J.C., auteure d'un poème médical de 14 distiques élégiaques.

Mais l'incipit du poème cite expressément Ἀγλαΐας Βυζάντιος εὐγενέστατος μαθητής; il faut donc y voir un homme.

Fr.1) Adversus suffusiones incipientes
Éd. Bussemaker U.C., Poetae bucolici et didactici, Didot, 1862 (1850), pp. 97-98.

ΠΡΟΣ ΤΑΣ ΑΡΧΟΜΕΝΑΣ ΥΠΟΧΥΣΕΙΣ
ΑΓΛΑΙΟΥ, ΕΥΓΕΝΕΣΤΑΤΟΥ ΒΥΖΑΝΤΙΩΝ, ΕΞ ΗΡΑ-
ΚΛΕΟΥΣ ΤΟ ΓΕΝΟΣ ΚΑΤΑΓΟΝΤΟΣ,
Ἀλεξάνδρου μαθητοῦ, συμμαθητοῦ δὲ Δημοσθένους
καὶ φίλου,
ΣΤΙΧΟΙ ΗΡΩΕΛΕΓΕΙΟΙ.
Ἀγλαΐας τόδε σοι Βυζάντιος ἐσθλὸν ἰάλλω
     Ἰητὴρ ἑτάρῳ δῶρον ἀοιδοπόλῳ,
Ὀφθαλμῶν μὲν ἄκος, Δημήτερα (?) τῶν ὑποχεῖσθαι
     Ἀρχομένων, ὑπ' ἐμῆς δ' εὑρεθὲν εὐμογίης.
Καί σοι δ' ἔξοχον ἔσται ἐς ἄχθεα, παντί τ' ὄνειαρ
     Παρμόνιμον, κάμψῃς ἄχρι κεν ἐς πλέονας.
Ὅσσα δ' ἔχει θρόνα λέξαι ἔοικε μοι, ὡς ἐπαρήγειν
     Οἷς ἄν τι σθεναρὴ σύνθεσις ἥδε πέλει.
Ἄνθους μὲν χαλκοῦ πεντώβολον, ἰσοβαρὲς δὲ
     Τοῦ συοδηλήτου τὴν ἀρετὴν γενέτιν·
Καὶ μεῖον τούτων ὀβολῷ στρόγγυλμα πυραιθὲς
     Πρόσθες, ὃ Γαλλαϊκοῖς (?) ἀλδαίνετ' ἐν δαπέδοις·
Καὶ δύο διδράχμω, τὸ μὲν ἐκ ξανθότριχος ἄνθους,
     Ἔνυμα * δ' ἐκ μηδέων θάτερον ἱπποδάμου·
Ἡμίσταθμον, ὃ τοῦ πατρὸς ψευδώνυμος, ἔστω
     Ὃς γῆμαι δμωῆς υἱέϊ δῶκε κόρην·
τῆσον δ' αὖ ἀλόϊον ἓν ἥμισυ τοῦ προτέροιο
     Ἄχθος· ἄγε στάχυος Σινδογενοῦς ὀβολόν·
Διστάσιος δ' αὐτῷ πελέτω λίθος εἰαριήτης·
     Διστάσιον δ' ἀφροῦ θρύμμα φακουσιακοῦ·
Σὺν δὲ τριάκοντα δραχμαῖς ἔτι καὶ δύο μίσγε
     Ὁλκὰς ἐξ ἄνθους ναμασιπηγὸς ἁλός·
Καὶ Ζακορίσου * Μούσαις ἰσάριθμον ὄπισμα
     Δραχμόθεν ἔστω σοι συγκατακιρνάμενον
Τετραμόρῳ κοτύλης, ὃ τιτύσκεται οὐ διὰ χειρῶν
     Ἐν δαπεδοῖς * Βάκτης, ἀλλὰ διὰ στομάτων.
Λεῖα δὲ πάντα καθ' ἓν τρίψας ἀνάμισγε σὺν ὑγροῖς,
     Τημελέως τ' ἀπόθου τεῦχος ἐς ἀργύρεον.

* Philé (Φίλη) d’Éphèse 

Certains auteurs voyaient sous ce nom une poétesse byzantine née vers 1275 et morte vers 1340. Mais on n’a aucun renseignement sur sa vie. 

Dans une de ses œuvres, on trouve le nom de Μανουὴλ ὁ Φιλῆς, et donc il doit s’agir d’un homme. La confusion provient sans doute de la forme Φιλῆ, un génitif pris pour un nominatif.

On lui connaît des Iambi de animalium proprietatibus (Στίχοι ἰαμβικοὶ περὶ ζώων ἰδιότητος), une compilation d’Élien dédiée à l’empereur Michel Paléologue. Il s’agit probablement d’espèces de fables.

Et des Carmina varia : εἰς τὸν κακοπαθῆ μοναχὸν λωβόν (In Monachum Leprosum) ; εἰς τὸν αὐτοκράτορα βασιλέα (In Augustum Andronicum Seniorem) ; un De Plantis, qui comprend εἰς τὸν σταχύν (in Spicam), εἰς τὸν βότρυν (in Uvam), εἰς τὸν ῥόδον (in Rosam), ainsi que εἰς τὸν ῥοίαν (in Malum Punicum) ; In Cantacuzenum (Joannem), une espèce de drame moral en forme de dialogue ; des Epigrammata ; εἰς τὸν ἐλέφαντα (In Elephantem) ; un traité sur le ver à soie περὶ σηροσκοληκός (De Bombyce sive Verme Serico) ; un Éloge de l’historien Pachèmère ; un Epitaphium in Phaerasem ; et In Templum Evergetae.

La Bibliothèque de Luxembourg possède l’ouvrage suivant sous la cote 3326 :

Phile, Manuelis, Poema de animalium proprietatibus, textus graecus cum interpretatione in versibus latinis, per Joach. Camerarium (Dans le recueil publié par Lectius à Genève en 1614).

Schoell, Hist. Litt. Gr., vol. VI, p. 49; 134-137; 433.
Lehms, Galante Poetinnen, s.v., II p. 194.

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