Égypte lagide : littérature du 3e s. av.

P.Grenf. 1, 1 (= P.Lit.Lond. 50 = P.Dryton 50) : paraclausithyron (papyrus = 173-100 av.)

Éd.
B.P. Grenfell, An Alexandrian erotic fragment and other Greek papyri cheefly Ptolemaic (= PGrenf I); Milano, Cisalpina-Goliardica, 1896; pp. 1-6, pl. I.

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Παρακλαυσίθυρον
   Ἐξ ἀμφοτέρων γέγονεν αἵρεσις· ἐζευγίσμεθα· τῆς φιλίης
   Κύπρις ἔστ' ἀνάδοχος· ὀδυνή μ' ἔχει, ὅταν ἀναμνησθῶ
   ὡς κατεφίλει 'πιβούλως μέλλων με καταλιμπάνειν
   ἀκαταστασίης εὑρετής. Χὠ τὴν φιλίην ἐκτικώς
5 ἔλαβέ μ' Ἔρως, οὐκ ἀπαναίνομαι, αὐτὸν ἔχουσ΄ ἐν τῇ διανοίαι.
   Ἄστρα φίλα καὶ πότνια Νὺξ συνερῶσά μοι παρά-
   πεμψον ἔτι με νῦν πρὸς ὃν Κύπρις ἔκδοτον ἄγει με
   χὠ πολὺς Ἔρως παραλαβών. Συνοδηγὸν ἔχω
   τὸ πολὺ πῦρ τοὐν τῇ ψυχῇ μου καιόμενον. Ταῦτά
10 μ' ἀδικεῖ, ταῦτά μ' ὀδυνᾷ· ὁ φρεναπάτης, ὁ πρὸ τοῦ
   μέγα φρονῶν, καὶ ὁ τὴν Κύπριν οὐ φάμενος εἶναί μοι τοῦ 'ρᾶν αἰτίαν,
   οὐκ ἤνεγκε νῦν τὴν τυχοῦσαν ἀδικίην.
   Μέλλω μαίνεσθαι· ζῆλος γάρ μ' ἔχει, καὶ κατακαίομαι
   καταλελειμμένη. Αὐτὸ δὲ τοῦτό μοι τοὺς στεφάνους
15 βάλε, οἷς μεμονωμένη χρωτισθήσομαι.
   Κύριε, μή μ' ἀφῇς ἀποκεκλειμένην· δέξαι
   μ'· εὐδοκῶ, ζηλῶ δουλεύειν. Ἐπιμανῶς ἐρᾶν
   μέγαν ἔχει πόνον, ζηλοτυπεῖν γὰρ δεῖ, στέγειν,
   καρτερεῖν· ἂν δ' ἑνὶ προσκαθῇ, μόνον ἄφρων ἔσει,
20 ὁ γὰρ μονιὸς ἔρως μαίνεσθαι ποιεῖ.
   Γίνωσχ' ὅτι θυμὸν ἀνίκητον ἔχω, ὅταν ἔρις
   λάβῃ με· μαίνομαι εἰ μονο-
   κοιτήσω, σὺ δὲ χρωτίζεσθ' ἀποτρέχεις.
   Νῦν δ' ἂν ὀργισθῶμεν, εὐθὺ δεῖ καὶ δια-
25 λύεσθαι. Οὐχὶ διὰ
   τοῦτο φίλους ἔχομεν
   οἳ κρινοῦσι τίς ἀδικεῖ;
   νῦν ἂν μὴ ἐπι[
   ἐρῶ, κύριε, τὸν [
30 Νῦν μὲν οὔθ' ε[
   πλυτης ο[
   δυνήσομαι. [
   Κοίτασον, ἧς ἔχ[εις
   ἱκανῶς σοῦ ἐν [
35 κύριε, [
   πῶς μ' ἀ[φῇς
   πρῶτός μ' ἐπείρ[ασας
   κύρι', ἂν ἀτυχ[ῇ]ς, οὐ [
   ὀπυασώμεθα· ἐμῶν ∙∙εδ̣ε[∙∙∙∙ ἐπι-]
40 τηδείως αἰσθέσθω μ∙∙ταν [
   Ἐγὼ δὲ μέλλω ζηλοῦν τω [
   δουλ∙∙∙∙∙ τ' ἄν· διαφοροῦ· ἢ [
   ἀνθρ[ώπου]ς ἀκρίτως θαυμάζεις
   με[       ]φ[ο]ρη· προσίκου δ' ὠ[
45 θαυ[μα           ὠ]χρίην κατεῖδεν ὁ
   σχω[           ]τωι τοι̣ν̣τ̣α̣ η̣ ετυ[
   κου[          ἐ]νόσησα νηπία· σὺ δέ, κύρ[ιε,
   καὶ [      ] [καταλελει]μμέν[ην] [    ]
   λελάλ[ηκ' ἐγὼ     πε]ρὶ ἐμὴν [ψυχήν.
Lamentation à la porte
Entre nous deux, le choix a été réciproque ; nous nous sommes unis ; Aphrodite de Chypre est garante de notre amour.
La douleur m’étreint lorsque je me remémore comme il me couvrait de baisers alors qu’il était, le perfide, sur le point de m’abandonner, œuvrant à mon désarroi. Et l’auteur de notre amour, Éros, s’est emparé de moi ; je ne le nie pas, Éros continue d'occuper mon esprit. Étoiles amies et toi, Nuit souveraine, complices de mes amours, ramenez-moi auprès de celui à qui me destinent corps et âme Cypris et le puissant Éros qui m’enchaîne. J’ai pour compagnon de route le puissant feu qui brûle en mon âme. Ce qui me blesse, ce qui me tourmente le plus, c’est que ce séducteur, ce fat impie qui naguère affirmait que Cypris  était étrangère à ma passion, rejette maintenant toute part à mon malheur. Je me sens devenir folle : une passion jalouse me possède, et je me consume,
abandonnée.
Jette-moi donc les couronnes pour que, dans ma solitude, je dorme avec elles. Mylord, ne me laisse pas devant la porte close; laisse-moi entrer ; je suis prête à devenir esclave, j’y aspire. Aimer à la folie apporte grand’ peine, car il faut rivaliser, supporter, persévérer ; et si l'on ne t’attache qu’à un seul  amant, c’est de la pure inconscience, car l’amour non partagé rend fou.
Sache que j’ai un cœur invincible quand l’envie de combattre me saisit; je perds la raison si je dois dormir seule, et toi, en toute hâte, tu t'en vas découcher.
Mais si nous nous sommes fâchés l’un l’autre, il nous faut tout aussi tôt mettre fin à cette colère. N’est-ce pas pour cela que nous avons des amis, pour juger qui de nous deux a tort ?

[le reste est trop lacunaire pour tenter une traduction]


Les vocatifs et les 2e personnes du singulier de ce texte semblent renvoyer à l'amant, selon la logique du paraclausithyron. Mais Grenfell signalait déjà, à propos des vers 16 et 19, qu'il y a un petit problème de cohérence, et que Κύριε (v. 16) et προσκαθῇ (v. 19) pourraient tout aussi bien s'adresser à Éros, en signalant un parallèle intéressant avec Apulée, Mét. 6, 22, où Jupiter s'adresse à Cupidon en lui disant "Domine fili"... Nous avons opté au vers 19 pour un "tu" impersonnel.

Paraclausithyron: genre littéraire dont on trouve les premières traces chez Alcée et Aristophane. Au 3e s., Asclépiade de Samos, contemporain donc de notre poète anonyme, en a composé plusieurs: Anth.Gr. 5, 153; 189; 167, avec une prière à Zeus; 145, avec une prière aux couronnes. Variation dans l'Idylle 3 de Théocrite; voir aussi Callimaque, Anth.Gr. 5, 23. Imitations chez Ovide, Properce et Catulle, et jusque dans la poésie des troubadours. Définition chez Plutarque (Mor. 753 ab = Erotikos 8, 2). Cf. Marisaeum melos.
Nous avons ici une espèce de paraclausithyron inversé. D'habitude, c'est un homme qui s'adresse à une femme cruelle. La femme qui se lamente ici balance entre deux sentiments: la rage d'avoir été trahie, outragée, et d'être en proie aux tourments amoureux, et un amour fervent, finalement vainqueur, qui l'incite à la réconciliation.

Le mélange de styles, mi-poétique mi-rhétorique, et le rythme apparemment dochmiaque (˘ – – ˘ – , avec substitutions possibles des ˘ en – , et des –  en ˘˘) ont amené certains commentateurs à y voir un mime, ou un roman; pour Grenfell, il s'agirait des lamentations d'Ariane abandonnée par Thésée. La langue est de la koinè attique; alors que les Alexandrins utilisent volontiers des mots homériques, nous avons ici des néologismes et des tournures qui rappellent le Nouveau Testament, caractéristiques purement populaires. Ce qui pencherait pour le mime. D'autres commentateurs signalent que les arias d'Euripide sont souvent en dochmiaques. Ce style serait à l'origine des parties chantées de Plaute.

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