La ciguë de Socrate

 

Il y a 2400 ans, en mars 399 av. J.C., mourait Socrate, «de tous les hommes le plus sage», selon la réponse de la Pythie à la question de Chaeréphon, l'ami fidèle de Socrate, et lui-même philosophe. Le philosophe modèle disparaissait à l'âge de 71 ans après avoir bu la ciguë.

La substance toxique qui causa la mort de Socrate est la cicutine. Cet alcaloïde se trouve dans les feuilles, les tiges, les fleurs et les fruits de la ciguë tachetée ou ciguë de Socrate (Conium maculatum). Le nom grec ancien (kôneion) tire son nom soit de la ressemblance des feuilles de la ciguë avec la pomme de pin (kônos), soit du fait que la ciguë produit une substance qui ressemble à la résine.

La concentration de la cicutine dans les différentes parties de la plante varie notamment selon leur degré de développement. La dose d'extrait qui se révèle mortelle pour l'être humain est d'environ 1 gramme, quantité qui correspond à 150-300 mg de cicutine pure. Les symptômes d'empoisonnement à l'extrait de ciguë se manifestent jusqu'à une heure après l'absorption; la mort est due à l'action paralysante de la cicutine sur le système nerveux autonome.

La ciguë se reconnaît à son odeur repoussante caractéristique. Cette propriété, due à l'alcaloïde qu'elle contient, éloigne les herbivores, leur sauvant ainsi la vie. L'ingestion de cette plante par un animal provoque en effet sa mort foudroyante. Ainsi "ouden kakon amiges kalou" «à quelque chose malheur est bon».

Cette plante est spontanée en divers endroits de la Grèce, où elle est aussi connue sous les noms de mangousa, vromousa ("la puante"), amarangos ("la fétide"), kirkouta (lat. cicuta), askotisara ("la désennuyeuse") et tsamboudhia. 

Les gorges de Vikos dans les Zagorokhoria (Épire), riches en plantes pharmaceutiques, surnommées la «pharmacie de la nature», assurent à la ciguë un environnement favorable à son développement, tant par les conditions météorologiques que par la richesse du sol en oligoéléments.

Les propriétés pharmaceutiques de la ciguë sont connues depuis l'antiquité. Elles furent utilisées non seulement comme moyen de mort, mais aussi comme substances thérapeutiques. Les extraits de la plante ou des fruits étaient utilisés par le grand médecin, botaniste et pharmacien Dioscoride (1er s. av. J.C.) pour la fabrication de différents collyres. De même le père de la médecine, Hippocrate (460-377 av. J.C.), exploitait les possibilités thérapeutiques de la plante pour soigner la gonorrhée et diverses affections du rectum, comme par exemple les hémorroïdes (Fistulis 9, 31; cf. Diosc., Euporista = Simpl. Medic. 1, 204).

Les médecins empiriques de la région de Vikos, les Vikoghiatroi, connus en Grèce sous le nom de Komboghiannites, utilisaient les extraits des feuilles, des bourgeons et des fleurs de la ciguë pour soigner quantité de situations pathologiques affectant tous les systèmes de l'organisme humain.

L'administration du médicament se faisait par la bouche, ou par la peau sous forme d'onguents et de bains, selon qu'il s'agissait d'affections métaboliques ou cutanées.

Les propriétés anesthésiantes et analgésiques de la cicutine n'ont pas échappé à l'attention des Vikoghiatroi. Dans le manuscrit "Ghiatrosophi" d'un médecin Épirote inconnu, l'ordonnance 144 est révélatrice : «pour ne pas ressentir de douleur lorsque tu veux couper ta chair, prends la plante que les Francs appellent tzokounda, les Grecs ciguë; écrase-la, et avec le suc frotte la partie que tu veux couper, et tu ne sentiras absolument rien».

 

Bibliographie

K. Ganiatsas : Έρευνα επί των φαρμακευτικών φυτών της χαράδρας του Βίκου (Ipeirotiki Estia 23, 1974, 212-229).


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