Soldats tombés à Marathon

(Athènes - 479-470 ? av. JC)

    Cette inscription, originaire d'Athènes, a été retrouvée dans la villa d'Hérode Atticus à Eva-Loukou (Kynouria) avec d'autres antiquités rassemblées par le mécène pour orner sa villa. Il s'agit de l'une des dix stèles (une par tribu) érigées pour commémorer les morts de Marathon. Ici celle de la tribu Érechthéis, qui comporte une épigramme de deux distiques élégiaques et une liste de 22 noms. Il faut donc supposer que 18 autres distiques continuaient ces quatre premiers vers - car nous avons là sans aucun doute les 4 premiers vers d'un long poème de 40 vers, la tribu Érechthéis étant toujours citée en premier dans les listes athéniennes.
Rappelons que 192 Athéniens étaient tombés à Marathon en août 490 (Hdt 6, 117).

Éd. :

G. Steinhauer, Horos 17-21, 2004-2009, 679-692.
SEG 56, 2006 (2010), 430.
G. Spyropoulos, Οι στήλες των πεσόντων στη μάχη του Μαραθώνα από την έπαυλη του Ηρώδη Αττικού στην Εύα Κυνουρίας (Athens 2009) <compte-rendu ici>.

Milieu de la ligne 2 très problématique (lecture et scansion) ... Syntaxe un peu rude ... Mais le sens général est évident.
L'inscription est en alphabet archaïque : E vaut pour ε, ει et η, O pour ο, ου et ω;
                                                          H indique l'esprit rude; ψ est rendu par ΦΣ, ξ par ΧΣ.


Ἐ          ρ          ε          χ          θ          ε          ΐ          [ς]
Φμις̣ ἄ̣ρ̣᾽ hος κίχε̣ν̣ αἰεὶ ε̣ὐφαõς hέσσχατα γαίε[ς]
    τõνδ᾽ ἀνδρõν ἀρετὲν πεύσεται hος ἔθανον
4 [μ]αρνάμενοι Μέδοισι καὶ ἐσστεφάνοσαν Ἀθένας
    [π]αυρότεροι πολλõν δεχσάμενοι πόλεμον

Δρακοντίδες
Ἀντιφõν
8 Ἀφσέφες
Χσένον
Γλαυκιάδες
Τιμόχσενος
12 Θέογνις
Διόδορος
Εὐχσίας
Εὐφρονιάδες
16 Εὐκτέμον
Καλλίας
Ἀραιθίδες
Ἀντίας
20 Τόλμις
Θοκυδίδες
Δῖος
Ἀμυνόμαχος
24 Λεπτίνες
Αἰσχραῖος
Πέρον
Φαιδρίας
28 [
- - - - - - - -]
Tribu Érechthéis.
La Renommée, où qu'elle atteigne les bornes de la terre lumineuse, ne pourra qu'apprendre la valeur de ces hommes, comme ils sont morts en combattant les Perses, comme ils ont fait la gloire d'Athènes en soutenant le choc, quelques-uns contre beaucoup.
Drakontidès
Antiphon
Apsèphès
Xénon
Glaukiadès
Timoxénos
Théognis
Diodoros
Euxias
Euphroniadès
Euktêmon
Callias
Araithidès
Antias
Tolmis
Thoukydidès
Dios
Amynomachos
Leptine
Æschraios
Peron
Phædrias
- - -

Remarques sur le texte et la traduction proposés:
v.1 : *ευφαος nominatif irait très bien avec la scansion et peut-être avec le sens (la Renommée illustre), mais il n'est pas attesté. L'éditeur, à juste titre me semble-t-il, écrit εὐφαõς, c'est-à-dire, compte tenu de l'alphabet utilisé, εὐφαοῦς, génitif de εὐφαής, attesté, quoique tardivement, et donc épithète de γαίης. Cela oblige à faire une synizèze avec φαοῦς, mais cela n'est pas impossible...
v.1 : D'après un dessin de l'inscription, il semble que l'on puisse lire κιχάνει au lieu de κιχεν αἰεὶ ou de κιχ[άν]<ει> αἰεὶ proposé par l'éditeur.  ὡς κίχεν αἰεὶ va bien avec la scansion - ὡς κιχάνει ne va pas avec la scansion, κι étant bref et χά long. Quant à κιχ[άν]<ει> αἰεὶ, cela me semble assez tiré par les cheveux et ne va pas avec la scansion.
v.1 : je prends ὡς comme temporel, avec un aoriste thématique bien attesté κίχεν, sans augment, à la mode épique, que je combine avec αἰεὶ pour obtenir "chaque fois qu'elle arrive aux confins", d'où l'indéfini "où qu'elle atteigne les confins".
v.2 : le futur πεύσεται pose un problème de sens: d'ordinaire, c'est la renommée qui apporte la nouvelle, ce n'est pas elle qui cherche à s'informer... Réflexion faite, il n'y a pê pas incohérence : ici, dans le cas de Marathon, la valeur des hommes a été si grande que la Renommée, en arrivant aux confins du monde, y a déjà été précédée par la gloire d'Athènes, elle ne peut que se contenter d'apprendre les nouvelles qu'elle est sensée apporter. En d'autres termes, la gloire des morts de Marathon est si grande qu'elle n'a pas besoin de la Renommée, elle se suffit à elle-même. Et dans ce cas-là, on aurait une belle trouvaille du poète, un grand poète (Simonide ?): un παρὰ δόξαν.
v.2 : je prends ὡς au sens exclamatif, l'interrogatif étant πῶς ou ὅπως. À moins que, metri causa, le poète ait employé ὡς pour ὅτι complétif.
v.3 : cf. Simonide, Epigr. 7, 258, 2 : μαρνάμενοι Μήδων τοξοφόρων προμάχοις.
v.4 : cf. Simonide, Epigr. 7, 301, 4 : δεξάμενοι πολέμῳ.

Quand on pense à une épigramme en l'honneur des soldats tombés lors des guerres médiques, on ne peut s'empêcher de penser à Simonide. On connaît l'épigramme de Simonide pour les morts des Thermopyles (Epigr. 7, 249).

On connaît moins une épigramme de Simonide gravée sur le cénotaphe élevé à Athènes, entre 480 et 470, pour les morts de Marathon -- selon une ancienne tradition, mais pê de Platées, voire plutôt de Salamine compte tenu des allusions du texte aux navires, aux portes et à l'incendie de la Cité, éventuellement à l'île d'Ajax, -- grâce à deux fragments, l'un retrouvé en 1932 en plusieurs morceaux, y compris une copie du 4e s., dans le mur d'une maison moderne sur l'agora (cf. SEG), l'autre retrouvé en 1855 à l'est de l'acropole et plusieurs fois publiée (IG I2 763; Geffcken, Griech. Epigramm, no 65, avec biblio. antérieure; F. Hiller von Gaertringen, Hist. griech. Epigramm, no 11), et qui se complètent :

Édition de Geffcken, Griech. Epigramm, no 65 = IG I2 763
:
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - AIEI - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -  hελλ[άδα γῆν] πᾶσαν δούλιο[ν ἦμαρ ἰδν].

[Ἦ μάλα δὴ κεῖνοι ταλακάρδιοι, hοί ῥα τ]ότ' αἰχμὲν | στσαμ πρόσθε πυλν ἀν̣[χιάλων στιβάρην Bormann]
[μαρνάμενοι δ΄ ἐσάωσαν Ἀθηναίας πολυβούλου] | ἄστυ βίαι Περσν κλινάμενο[ι δύναμιν].


IG I3 503/504 + SEG 16.22 + 13.34 + 10.404 + 38.29 + 40.28 (= IG I3 505) :
ἀνδρν τνδ' ἀρετε[∙∙∙∙ 9 ∙∙∙∙ος ἄφθιτον] αἰεί, [] [∙∙∙∙ 8 ∙∙∙]ν[∙]ρ[∙∙∙∙ 9 ∙∙∙∙ νέμοσι θεοί. ]
ἔσχον γὰρ πεζοί τε [καὶ ὀκυπόρον ἐπὶ νε]ν   hελλά[δα μ]ὲ πᾶσαν δούλιον μαρ ἰδν .

ν ἄρα τοῖσζ' ἀδάμ̣[α    ] ḥότ' αἰχμὲν | στσαμ πρόσθε πυλν ἀν̣[   ]
ἀνχίαλομ πρσαι ῥ̣[    ] | ἄστυ βίαι Περσν κλινάμενο[ι στρατίαν].

On ne peut qu'admirer la restitution ἦμαρ ἰδν de la fin de la ligne 2 ; la conjecture de Bormann qui se retrouve, à une autre place certes, dans le texte de l'agora; la conjecture μαρνάμενοι de Geffcken, qui se retrouve dans l'inscription de la villa d'Atticus; et la correspondance τõνδ᾽ ἀνδρõν ἀρετέν de la villa d'Atticus et ἀνδρν τνδ' ἀρετ
ς de l'agora...

Si ce n'est pas une simple coïncidence, l'inscription de la villa d'Hérode Atticus est peut-être du Simonide... Celui-ci aurait ainsi rédigé des épigrammes pour les quatre batailles des Guerres médiques.

Quant à l'inscription de l'agora, en combinant les différents fragments ci-dessus et quelques autres, les différentes conjectures et quelques choix personnels, on peut admettre comme probable la restitution suivante, donnée ici en orthographe classique et sans apparat critique :

ἀνδρῶν τῶνδ' ἀρετῆς λάμψει κλέος ἄφθιτον αἰεί,

ἕως ἂν ἐπ’ ἠνορέης χρηστὰ νέμωσι θεοί·

ἔσχον γὰρ πεζοί τε καὶ ὠκυπόρων ἐπὶ νηῶν

4       Ἑλλάδα μὴ πᾶσαν δούλιον ἦμαρ ἰδεῖν.

ἦν ἄρα τοῖσδ' ἀδάμαντος ἐνὶ φρεσὶν ἦτορ  ὅτ' αἰχμὴν

στῆσαν πρόσθε πυλῶν ἀντία τοξοφόρων,

ἀγχίαλον πρῆσαι βουλευσάμενοι  

8       ἄστυ βίαι Περσῶν κλινάμενοι στρατιάν.

    πεζοί τε καὶ ἱππεῖς

     

ἀθάνατον δ’ Αἴαντος ἅμα κλέος ἕσπετο νήσῳ

12       ἡνίκα     έβαλον.

ἕρκος γὰρ προπάροιθεν    

τεσ   μεν Παλλάδος Ἱπποδάμου,

οὖθαρ δ' ἠπείρου πορτιτρόφου ἄκρον ἔχοντες,

16      τοῖσιν πανθαλὴς ὄλβος ἐπιστρέφεται.

La gloire attachée à la valeur de ces hommes brillera à jamais, impérissable,
tant que les dieux accorderont la récompense au courage viril;

car fantassins et marins montés sur des nefs rapides, ils tenaient bon,
pour que la Grèce toute entière ne connaisse pas le jour de la servitude.

Dans leurs poitrines, leur cœur était d'acier quand ils dressaient
leurs lances aux portes de la Cité contre les porteurs d'arcs,

ayant pris le parti d'incendier leur foyer du bord de mer - - -
et grâce à leur force, écartant l'armée du Perse.

- - - fantassins et cavaliers
- - -   - - -

et une gloire immortelle s'attachait dès lors l'île d'Ajax
quand - - - ils frappèrent - - -.

Car ils - - - l'enceinte devant - - -
- - - de Pallas maîtresse des chevaux,

et occupant la marche la plus fertile du continent nourricier,
le bonheur leur revient, toujours florissant.

Pour le détail philologique et l'apparat critique des différentes restitutions, voir ici.

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