Dans ce traité, Basile reconnaît que la lecture des poètes, et surtout d'Homère, peut contribuer grandement à la formation morale (ch. 1-7) [trad. Univ. de France].
«(1) Ne vous étonnez point qu'allant chaque jour à l'école et ayant commerce, par l'intermédiaire des oeuvres qu'ils ont laissées, avec les esprits illustres de l'antiquité, que vous m'entendiez prétendre avoir trouvé de mon fonds quelque accroissement d'utilité. C'est qu'effectivement, je suis venu vous donner le conseil de ne pas, une fois pour toutes, abandonner à ces hommes le gouvernail de votre pensée, ni de les suivre par où ils vous mèneront, mais, n'acceptant d'eux que ce qu'ils ont d'utile, de savoir ce qu'il faut aussi laisser de côté.
(2) Nous considérons comme absolument sans valeur cette vie humaine; ... nous portons plus loin nos espérances, et c'est en vue de nous préparer à une autre vie que nous accomplissons toutes nos actions...
C'est à cette vie que nous conduisent les Saints Livres par l'enseignement des mystères. Mais en attendant que l'âge nous permette de pénétrer dans la profondeur de leur sens, c'est sur d'autres livres qui n'en sont pas entièrement différents que nous nous exerçons par l'oeil de l'âme... poètes, historiens, orateurs, tous les hommes, il faut avoir commerce avec tous ceux de qui il peut résulter quelque utilité pour le soin de notre âme... Nous demanderons donc à ces sciences du dehors une initiation préalable, et alors nous entendrons les saints enseignements des mystères; et pour nous être habitués à voir le soleil dans l'eau, nous fixerons sur la vraie lumière notre regard.
(3) S'il y a une affinité mutuelle entre les deux doctrines, il peut y avoir utilité pour nous à les connaître; s'il n'y en a pas, du moins le parallèle, en nous montrant la différence, ne servira pas peu à nous raffermir dans la meilleure.
(4) D'abord les écrits des poètes. Quand ce sont des hommes de bien dont ils vous rapportent les actions ou les paroles, il faut les aimer, les imiter et faire plus d'efforts possible pour leur ressembler; mais quand leur imitation se porte sur des personnages vicieux, il faut éviter ces exemples en vous bouchant les oreilles, tout comme Ulysse... de peur que l'attrait du langage ne nous fasse admettre à notre insu des principes mauvais. Nous ne louerons donc pas les poètes en toutes chose; nous ne les louerons ni quand ils injurient, ni quand ils raillent, ni quand ils représentent des scènes d'amour ou d'ivresse, ni quand ils font tenir dans une table chargée et des chants lascifs les bornes du bonheur. Moins encore prêterons-nous attention à leurs récits sur les dieux, et surtout quand ils parlent de plusieurs dieux, et qui ne sont même pas d'accord. Car le frère chez eux est en dissension avec son frère, un père avec ses enfants, et ceux-ci à leur tour font à leurs parents une guerre implacable. Pour les adultères des dieux , ces amours, ces commerces, au grand jour, et notamment du maître de tout le choeur, de Zeus, le dieu suprême, comme ils disent eux-mêmes, choses que même en parlant des bêtes on ne conterait pas sans rougir, nous les abandonnerons aux gens de théâtre.
(5) Et puisque c'est par la vertu que nous devons nous faire un trésor pour l'autre vie, puisque souvent les poètes, souvent les prosateurs, mais bien plus souvent encore les philosophes la célèbrent par des hymnes, c'est à ce genre d'ouvrages qu'il faut surtout nous appliquer.
(6) Et presque tous les écrivains qui ont quelque réputation de sagesse se sont, peu ou prou, chacun selon ses forces, étendus dans leurs ouvrages sur l'éloge de la vertu. Il faut les écouter, et tâcher que notre vie soit la réalisation de leurs paroles.
(7) Ainsi ceux de ces récits qui renferment des préceptes de vertu, nous les accueillerons dans cet esprit. Mais comme il y a également chez les Anciens des actes de vertu qu'une tradition ininterrompue nous a conservés, et que les poètes ou les historiens ont consignés dans leurs oeuvres, gardons-nous de manquer le profit même qu'on en peut tirer.
Quelqu'un frappait le fils de Sophronisque, Socrate, d'une grêle de coups en pleine figure; lui ne fit point de résistance, et laissa l'ivrogne assouvir sa colère, au point d'en avoir le visage enflé déjà et meurtri sous les coups. Quand il eut cessé de frapper, Socrate se contenta de se mettre au front, à ce que l'on dit, comme fait le sculpteur à sa statue, l'inscription: "Ceci est l'oeuvre d'un tel", et ce fut toute sa vengeance. Voilà qui tend à peu près au même but que nos Écritures, et vaut bien la peine d'être imité par des jeunes gens de votre âge, je l'affirme. Car ce trait de Socrate est analogue au précepte qui dit; "A celui qui frappe sur une joue, il conviendrait de présenter aussi l'autre, bien loin de se venger".
Je ne veux point passer sous silence ce trait d'Alexandre qui, ayant fait prisonnières les filles de Darius, dont on vantait la merveilleuse beauté, ne voulut même pas les voir, estimant honteux, quand on avait vaincu des hommes, de se laisser dominer par des femmes. Ce trait vise au même but que le mot connu: "Celui qui a regardé en vue du plaisir une femme, a beau n'avoir pas, dans la réalité, consommée l'adultère; parce que le désir a reçu accueil dans son âme, il n'est pas absous du péché (Matth. 5, 28)".
Et l'exemple de Clinias, un des disciples de Pythagore ? Alors qu'il pouvait, par un serment, éviter une amende de trois talents, il aima mieux payer que de jurer; et pourtant ce serment aurait été véritable. C'est qu'il avait entendu parler, à mon sens, du commandement qui nous interdit le serment.»
De manière plus générale, la culture profane s'harmonise de la façon la plus naturelle avec la doctrine chrétienne dans les oeuvres de saint Basile. C'est ainsi que dans l'homélie intitulée Connais-toi toi-même, il reprend le vieil adage de la sagesse antique et l'interprète dans un sens profondément chrétien. Basile a du reste défini avec un libéralisme réel, étant donné la défiance que l'Église gardait encore à l'égard des lettres païennes, la place que la littérature devait tenir dans l'éducation de la jeunesse.
*** Originaire de Césarée, saint Basile (330-379) appartenait à une riche famille chrétienne. Il suivit à Athènes les cours du sophiste païen Himérios, à Antioche ceux du sophiste païen Libanios. Lui-même enseigna quelque temps la rhétorique à Césarée. En 370, il devint évêque de sa ville natale. Très vite, il joue un rôle de premier plan dans l'Orient chrétien: dans sa lutte contre l'arianisme, il prend la place de saint Athanase vieilli, et s'applique à donner des règles au monachisme.
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